Plateaux d'Astariul

[Elerinna Calaelen]

// Dès que la porte fut bloquée par les meubles, Maniela vint se réfugier dans les bras de sa sœur, comme tétanisée. Les petits avaient senti le danger et Aliya était bien incapable de les rassurer, elle qui sentait son cœur redoubler de puissance dans sa poitrine. Les esprits d'Aksel et de Yaaleen s'échauffaient afin de trouver un plan au plus vite, mais tout ce qu'ils proposaient semblait bancal, risqué, presque suicidaire aux yeux de la brune. //

- Aksel, toi et moi nous perchons sur les poutres là et là, pendant qu'Aliya, Olörin et Maniëla se cachent. Il me semble qu'il y a une porte à l'arrière qui donne sur l'extérieur. C'est entouré de grands rochers donc il ne passera pas par là. Les mercenaires vont droit au but, c'est-à-dire par la porte d'entrée.

- Attendez, je pense avoir mieux. Enlever à l'ennemi toute possibilité de repli offre un certain avantage, pas vrai ? On peut tenter de l'attirer à l'arrière de la maison, les rochers bloquent presque entièrement le chemin. Voilà ce que je propose : Maniela, Olörin, vous trouvez une cachette à l'intérieur, il y a peut-être des planques sous le parquet, sinon derrière un meuble restant... vous êtes petits, vous trouverez bien un endroit. Aliya, tu t'en sors avec les chevaux ? Dès que le mercenaire entre, tu t'enfuis sur leur dos par le passage entre les rochers ; le bruit l'attirera, il ne pensera pas à fouiller la maison et, pensant qu'on s'enfuie, se précipitera de l'autre côté. Yaaleen, tu te perches sur une des poutres, et dès que le mercenaire passe, tu arrives par derrière pour l'empêcher de rebrousser chemin, comme ça il sera bloqué à l'arrière de la maison. Moi, je me cache dans les rochers, et dès que je l'aie en vue, je l'attaque par surprise en le criblant de flèches. Et si ça ne suffit pas, je te rejoindrai pour te donner un coup de main au combat en corps à corps.

// Le regard affolé d'Aliya passa de l'un à l'autre. Aksel avait parlé très vite, mais on pouvait entendre au loin le galop des poursuivants qui se rapprochait. Cela ne faisait plus aucun doute désormais, ils les avaient aperçu s'engoufrer dans le cabanon, et fonçaient droit sur eux.

Ölorin, étonnament serein, pris la main sa cadette en indiquant une planche tordue dans l'angle de la cabane. Un faux sous-sol leur permettrait certainement de se cacher tous les deux, conformément au plan du demi-faël, et le blondinet l'avait bien compris. Aliya fit cependant non de la tête, effarée à l'idée de laisser les deux petits enfermés là-dedans sans savoir si Aksel et Yaaleen parviendrait réellement à les défendre. S'éloigner d'eux lui était tout bonnement insupportable, mais aussi loin que son esprit portait, elle ne parvenait pas à trouver d'autre solution viable.

Son petit frère ne lui laissa pas le choix, et elle le laissa faire, en état de béatitude. Il souleva lui-même les planches l'une après l'autre, et sauta dans un petit trou d'une trentaine de centimètres de haut, assez large pour qu'ils s'y allongent tous les deux. Soulevant Maniela de ses bras menus, ils installa l'enfant pétrifiée à côté de lui.

Bien que répugnée à cette idée, Aliya se résolva enfin à l'action. Elle jeta un regard entendu à Aksel, et, en un quart de seconde, embrassa Maniela et Ölorin sur le front avant de remettre les planches à leur place. Leur présence était indétectable, aussi longtemps qu'ils parviendraient à maintenir leur souffle régulier et silencieux. La brune essuya rapidement une larme sur sa joue, et se dirigea vers la porte arrière, où les chevaux attendaient. //

- Je galoperai jusqu'au pic ouest pour les semer entre les grottes si l'un d'eux me suit. S'il arrive quoi que ce soit aux petits, vous me retrouverez jamais, c'est clair ?

// La détermination nouvelle dont elle faisait preuve avait de quoi étonner. La peur avait atteint un tel paroxysme qu'elle s'était finalement transformée en courage, en inconscience presque. Quoi qu'il en soit, le message restait clair : une égratinure sur Ölorin ou Maniela signerait l'échec complet de la mission des Marchombres, et Aliya s'assurerait qu'ils en paient le prix.

Un vacarme se fit soudain entendre. Les poursuivants frappaient à la porte avec une violence qui redoublait à chaque coup. Les meubles ne tiendraient pas plus de quelques minutes, et les premières chaises commençaient déjà à céder sous la force des frappes ennemies. Le plan avait intérêt à fonctionner, car ils n'avaient désormais plus de choix. //

[Katleen Makerley]

// Yaaleen attendait l'approbation d'Aksel pour mettre en oeuvre son plan. Elle l'observa bouger aux quatre coins de la pièce, vérifier que la porte arrière donnait bien sur ce qu'elle avait indiqué. //

- Attendez, je pense avoir mieux. Enlever à l'ennemi toute possibilité de repli offre un certain avantage, pas vrai ? On peut tenter de l'attirer à l'arrière de la maison, les rochers bloquent presque entièrement le chemin. Voilà ce que je propose : Maniela, Olörin, vous trouvez une cachette à l'intérieur, il y a peut-être des planques sous le parquet, sinon derrière un meuble restant... vous êtes petits, vous trouverez bien un endroit. Aliya, tu t'en sors avec les chevaux ? Dès que le mercenaire entre, tu t'enfuis sur leur dos par le passage entre les rochers ; le bruit l'attirera, il ne pensera pas à fouiller la maison et, pensant qu'on s'enfuie, se précipitera de l'autre côté. Yaaleen, tu te perches sur une des poutres, et dès que le mercenaire passe, tu arrives par derrière pour l'empêcher de rebrousser chemin, comme ça il sera bloqué à l'arrière de la maison. Moi, je me cache dans les rochers, et dès que je l'aie en vue, je l'attaque par surprise en le criblant de flèches. Et si ça ne suffit pas, je te rejoindrai pour te donner un coup de main au combat en corps à corps.

// La marchombre était d'accord pour la majorité du plan, sauf la partie où il fallait laisser Aliya s'enfuir seule. Il pouvait très bien y avoir un deuxième mercenaire auquel cas la jeune fille ne pourrait pas faire grand chose contre lui si ce n'est résister quelques secondes avant de mourir. Et ça, Yaaleen ne l'accepterait pas. Mais en même temps, la fille était trop grande pour se cacher sous le parquet comme Olörin et leur petite sœur.

Sans laisser le temps à Aliya ou la marchombre de répondre, le petit garçon prit les devants et trouva une cachette digne de ce nom sous une latte de bois. Les deux enfants s'y glissèrent en silence, Maniela étant étonnamment sage étant donnée la situation. La jeune fille leur dit au revoir rapidement. //

- Je galoperai jusqu'au pic ouest pour les semer entre les grottes si l'un d'eux me suit. S'il arrive quoi que ce soit aux petits, vous me retrouverez jamais, c'est clair ?

// Yaaleen hocha la tête, elle comprenait tout à fait Aliya en cet instant et avait envie de lui promettre qu'il n'arriverait rien aux deux petits, mais elle ne pouvait pas promettre quelque chose dont elle n'était pas sûre. //

- Normalement, le mercenaire sera seul. Personne ne devrait te poursuivre. Attends-nous là-bas et garde bien ton poignard en main, au cas où... Va Aliya et sois prudente.

// Sur ces mots, le mercenaire tambourina sur la porte pour la faire sauter de ses gonds. La marchombre fit signe à Aksel de sortir par l'arrière et d'attendre derrière les rochers comme il l'avait suggéré. Elle se percha sur la meilleure poutre de l'abri et attendit patiemment en respirant silencieusement que l'ennemi arrive à entrer dans la cabane.

Cela ne lui prit pas longtemps. Il s'avança dans la petite pièce en jetant des coups d'oeil aux alentours, sur ses gardes. Il savait qu'ils n'étaient pas bien loin et il avait raison : Yaaleen sauta sur le plancher derrière lui et s'engagea dans un combat au corps à corps bien plus ardu qu'elle ne s'y attendait. La porte arrière avait été laissée volontairement ouverte par l'apprenti pour que celui-ci puisse atteindre le mercenaire avec ses flèches. Néanmoins, la brune et lui étaient si proches qu'elle doutait qu'Aksel tente la moindre chose tant qu'elle ne s'en éloignerait pas un tant soit peu.

Alors elle se mit au travail, laissant des estafilades rouges sur le corps de l'homme encapuchonné, pour l'éloigner d'elle. Elle le repoussa à un moment mais il laissa traîner sa main qui tenait un poignard et ouvrit une large plaie sur le ventre de la marchombre. Elle essaya de faire abstraction de la douleur et pria de toutes ses forces pour qu'Aksel atteigne sa cible du premier coup. Elle ne tiendrait pas beaucoup plus longtemps. Heureusement pour eux, l'apprenti était doué et il planta une flèche dans le cou du mercenaire qui s'écroula immédiatement sur le sol. Yaaleen regarda le garçon qui sortait de sa cachette et lui sourit avant de s'effondrer, comme son ennemi, la main sur son ventre couvert de sang. //

[Thalia Gilsayan]

// Comme il s'y attendait, son idée ne faisait pas du tout l'unanimité. Aliya, paniquée, les regardait à tour de rôle, cherchant à crier son désaccord, tandis que Yaaleen fronçait les sourcils ; elle était à tous les coups en train de réfléchir à une ultime alternative qui ne mettrait pas Aliya en danger. Une seule personne semblait ne pas désapprouver son plan, c'était Ölorin. Ou bien, en entendant le galop du cheval du mercenaire s'amplifier, si bien qu'il semblait presque sur le pas de la porte, il avait compris qu'il n'y avait de toute manière pas le temps de trouver une autre solution. Le jeune garçon prit sa petite soeur par la main et l'entraîna vers une cachette presque indétectable sous des lattes de parquet ; il avait certainement scruté le cabanon à la recherche d'un abri avant même que le demi-faël n'expose son plan. Ce petit gars avait un sang-froid incroyable.

Le geste d'Ölorin mit fin à l'état de pétrification de sa grande soeur. La brune échangea un regard avec Aksel. Le jeune homme y lut une angoisse terrible, mais également une détermination neuve et inébranlable. Elle embrassa furtivement ses deux cadets, acheva de les dissimuler sous le parquet, puis se redressa et déclara d'une voix ferme : //

- Je galoperai jusqu'au pic ouest pour les semer entre les grottes si l'un d'eux me suit. S'il arrive quoi que ce soit aux petits, vous me retrouverez jamais, c'est clair ?

// La marchombre et l'apprenti acquiescèrent en même temps. De toute manière, en cet instant, le demi-faël était prêt à donner sa vie pour protéger les enfants. Et dans le cas où malheur arriverait, et où il serait encore en vie après avoir vengé ses protégés, il aurait bien trop honte pour oser reparaître devant Aliya et lui annoncer la nouvelle. Mais ce n'était pas ce à quoi il fallait penser. Ils étaient deux marchombres - ou presque - compétents face à un seul mercenaire - normalement. Leur poursuivant allait regretter le jour où il avait décidé de se lancer à leurs trousses. //

- Normalement, le mercenaire sera seul. Personne ne devrait te poursuivre. Attends-nous là-bas et garde bien ton poignard en main, au cas où... Va Aliya et sois prudente.

// A cet instant retentit le premier coup du mercenaire contre la porte, puis d'autres suivirent, ne manquant pas de vigueur. Tous les murs du cabanon tremblaient sous les assauts du poursuivant. Sans perdre de temps, Aksel fit un signe de tête à Yaaleen pour lui souhaiter bon courage, puis se précipita vers l'extérieur, en prenant soin de laisser la porte grande ouverte, conformément au plan. Aliya enfourcha son cheval et s'apprêta à partir. Le demi-faël la retint au dernier moment. //

- Aliya ! Fais attention à toi, et... à tout à l'heure.

// La brune lança sa monture au galop et traversa le passage. Aksel courut alors jusqu'à une cachette convenable qui lui offrait un angle d'attaque sur la porte arrière du cabanon, et, la gorge serrée, suivit la silhouette d'Aliya du regard, jusqu'à ce que les rochers lui en cachent la vue. S'il s'était trompé et que, pour une raison ou pour une autre, Aliya se faisait rattraper par un mercenaire, il ne se le pardonnerait jamais.

Puis l'apprenti attrapa une flèche, l'encocha, banda son arc, visa précisément la porte, et attendit patiemment, aux aguets. Les tambourinements sur la porte de l'entrée principale retentissaient toujours, à intervalles réguliers. Jusqu'à ce que la porte et tous les meubles qui la bloquaient finissent par céder dans un grand fracas. Les planches de parquet craquèrent sous les pas du mercenaire, que le jeune homme devinait s'avancer dans la maison. Puis un choc sourd, le bruit de Yaaleen se laissant tomber d'une poutre. Le son de poignards dégainés de leurs fourreaux. Puis le combat, danse silencieuse rythmée par la mélodie des grincements de plancher, des froissements d'habits, des sifflements de lames fendant l'air et de respirations haletantes.

Plusieurs dizaines de secondes s'écoulèrent avant qu'Aksel ne voit apparaître le capuchon du mercenaire, que Yaaleen avait petit à petit repoussé vers l'extérieur. La marchombre se battait avec un mélange de grâce et de férocité redoutable. Le garçon ne l'avait jamais vue se donner aussi entièrement dans un combat. Mais son adversaire n'était pas de moindre taille. Ses coups n'étaient pas aussi harmonieux, mais plus brutaux, puis puissants, et très précis. C'était une pure machine de guerre, entrainée pour tuer. L'apprenti aurait volontiers donné un coup de main à Yaaleen en tirant dans une jambe de la brute par exemple, mais sa fenêtre de tir n'était pas suffisante, les deux adversaires étaient trop proches l'un de l'autre. Et vu comme Yaaleen attaquait, elle l'avait bien compris : elle faisait tout pour éloigner suffisamment le mercenaire, mais la tâche n'était pas évidente. Ils se mouvaient tout deux à une vitesse prodigieuse, il ne s'écoulait pas une demi-seconde avant que l'homme encapuchonné ne comble de nouveau la distance de sécurité nécessaire à Aksel pour tirer. Mais ça n'allait pas tarder, le demi-faël sentait que l'occasion de décocher sa flèche allait survenir d'un moment à l'autre ; et il ne la manquerait pas.

Soudain, Yaaleen tituba : elle avait pris un trop grand risque dans sa tentative pour repousser le mercenaire, et celui-ci en avait profité pour lui ouvrir une large plaie dans le ventre. Une angoisse affreuse s'empara du jeune homme, sa main crispée sur la branche de son arc fut prise d'un tremblement ; il ne parvenait pas à estimer clairement la gravité de la blessure depuis sa position, et cela rendait la situation d'autant plus intenable. Comme Yaaleen semblait encore tenir debout, Aksel se ressaisit, reprit son souffle pour calmer le tremblement, serra les dents et, pris d'un accès de fureur, visa un peu plus haut. Très exactement la nuque de l'ennemi. En un éclair, il ajusta son tir, et lâcha la corde.

D'une précision chirurgicale, la pointe de la flèche s'enfonça dans la gorge du mercenaire. Celui-ci s'affaissa aussitôt, inconscient. Mort.

Aksel lâcha aussitôt son arc et bondit hors de sa cachette pour se précipiter vers Yaaleen. Son amie rencontra son regard, et lui adressa un petit sourire victorieux, avant de s'effondrer à son tour. //

- YAALEEN !!

// Le jeune homme ne jeta même pas un regard à sa victime. Cela ne lui était toujours pas naturel de prendre une vie, mais il se repentirait plus tard, il y avait pour le moment beaucoup plus urgent. Comme par exemple une amie qui se vidait de son sang. L'estafilade était vilaine, et plongeait profondément dans l'abdomen de la marchombre.

Probablement alarmé par le cri d'Aksel et conscient de la fin du combat, Olörin parut soudain dans l'embrasure de la porte, s'avançant d'un pas hésitant. En apercevant le ventre ensanglanté de la marchombre, son visage se para d'une expression horrifiée. Aksel releva la tête dans sa direction. Dans d'autres circonstances, il l'aurait sermonné pour son imprudence, mais étant donné la situation, la présence du bonhomme l'arrangeait bien. //

- Ölorin ! Essaie de trouver un bout de tissu propre pour panser la plaie.

// Le garçonnet hocha la tête et disparut à l'intérieur du cabanon. Il revint quelques instants plus tard avec sa trouvaille. Pendant ce temps, Aksel avait sorti sa gourde et versé de l'eau sur la plaie pour la laver, à défaut de pouvoir la désinfecter. Puis il attrapa le bout de tissu, l'appliqua sur la blessure et serra aussi fort qu'il put, pour stopper l'hémorragie.

Une fois cela fait, l'apprenti marchombre s'accorda quelques secondes de répit pour réfléchir, tandis qu'Ölorin partait délivrer sa petite soeur. Yaaleen avait besoin de soins urgents, seulement la citadelle des Frontaliers était à au moins encore une demi-journée en cheval d'ici. Autre problème, il restait deux chevaux - le sien et celui du Mercenaire - mais il était le seul à posséder des notions d'équitation. Il n'allait pas pouvoir transporter à la fois le corps inconscient de Yaaleen et les deux enfants... Un autre option lui vint à l'esprit : Aliya n'était partie que depuis vingt minutes tout au plus, et il était bien meilleur cavalier qu'elle. Il pouvait chevaucher seul pour la rattraper, puis revenir avec elle au cabanon ; puis elle prendrait ses deux cadets avec elle, tandis qu'il attacherait solidement Yaaleen sur le dos de la monture du mercenaire, et le guiderait depuis le dos de son propre cheval jusqu'à la Citadelle. C'était le plan le plus sensé qui lui venait. //

- Maniela, Olörin, fit-il en s'adressant aux enfants qui venaient de le rejoindre, vous allez rester ici et veiller sur Yaaleen jusqu'à mon retour. Si jamais vous entendez le moindre bruit suspect, des bruits de chevaux ou autres, vous retournez directement vous cacher sous le parquet, vous m'avez bien compris ? Soyez prudents, Aliya et moi revenons vous chercher très bientôt. A tout de suite !

// Il ébouriffa les cheveux des deux gamins, espérant les détendre un peu - alors qu'il était lui-même aussi tendu que la corde de son arc - puis bondit sur le dos de son cheval, et le lança au galop en direction du pic Ouest. Il était déterminé à retrouver Aliya aussi vite que possible. La vie de Yaaleen en dépendait. //

[Fin du RP]