// La journée commençait à peine dans la petite pâtisserie. L'ouverture officielle approchait à grands pas et maintenant qu'une partie de la décoration avait été faites, elle avait pu au moins récupérer sa cuisine adorée. Elle disposait désormais d'un espace de travail plus conséquent. Elle comptait en effet donner des cours de cuisine les week-ends, une idée qui avait germé dans son esprit au su des déboires de son amoureux. Qu'un homme ne sache pas cuisiner était inconcevable à ses yeux et il fallait bien avouer que passer plus de temps avec lui était un petit luxe qu'elle aimait s'accorder. Elle ne se voyait pas lui apprendre les plats salés mais elle doutait grandement qu'il sache faire une simple salade de tomates et mozzarella. Etait-il seulement capable de faire un barbecue où faisait-il bruler les merguez à coup sûr ?
Sa sœur était passée ce matin pour lui laisser son bébé une heure ou deux. Pour une raison inconnue du genre humain, tous les garçons et quelque soit leur âge, détestait les magasins et son neveu était typiquement atteint de la même maladie. Cela avait été rafraichissant d'avoir avec elle un membre de sa famille qui ne babillait pas à propos de ses fiançailles. Toute sa famille - même les arrières petits-cousins allemands - s'était passé le mot pour faire de ses journées une constante répétition 'oui, je suis fiancée, non il n'y a pas encore de date, oui il est mignon, non nous n'avons pas encore prévu le voyage de noces, ah oui, bonne idée la croisière sur l'Elbe'.
Le soir, elle n'aspirait qu'à se blottir dans les bras de Swaran avec un bon livre et de rester dans un silence apaisant.
Soudain, la sonnette de l'entrée se fit entendre alors que celle du four faisait de même. Elle sortit ses pâtes à choux et sursauta quand le nouveau venu parla. //
- Bonjour mon amour. J'ai sentis la douce odeur de tartelettes au citron tout juste sorties du four et je n'ai pu m'empêcher de venir les voir de mes propres yeux. Quelle torture de ne pouvoir que les sentir sans les goûter !
// Swaran ! Son rire était nerveux, voir forcé. Elle fronça les sourcils. Que diable allait-il lui annoncer ? Il annulait leurs fiançailles ? Elle avait le cœur qui battait à cent à l'heure. Que lui cachait-il ? //
- Bon d'accord en réalité je suis surtout venu pour toi. J'ai ... j'ai quelque chose à te dire.
// Elle se tendit, les muscles de ses épaules étaient crispés. Son pire cauchemar se réalisait, n'est-ce pas ? Il voulait tout arrêter ? //
- Je reviens de Sainte Mangouste. Tu sais pour ma blessure à la jambe, je dois .. j'ai quelques visites de routines, rien d'exceptionnel. Ca fait des années que le docteur ne me prescrit plus que de l'arnica. Je lui ai annoncé qu'on allait se marier et il m'a ... il m'a parlé de quelque chose, quelque chose dont j'aurais du me douter déjà avant mais ..
// Sa voix était tellement cassée qu'elle paniqua. Son plateau bouillant tomba à terre et le choux avec. Elle le fixait avec une frayeur non feinte. Il ne pouvait pas être mourant. Non. Elle ne pouvait pas s'imaginer sans lui. Il était son Swaran. Il était l'homme de sa vie. Point. Il ne pouvait pas la laisser veuve. Non, il ne pouvait pas. Les larmes perlaient déjà dans ses yeux. Elle devait être forte, être là pour lui mais rien n'y faisait. L'imaginer sur son lit de mort, le teint vitreux et immobile pour l'éternité... //
- Il m'a dit que je ne pourrais pas avoir d'enfants.
// Elle ferma les yeux, attendant la suite. //
Les précédents médecins ont "oublié" de me l'annoncer, mais suite à ma blessure je suis devenu incapable d'avoir d'enfants et je .. je suis vraiment désolé. Je ne veux surtout pas te décevoir et je sais à quel point fonder une famille peut être important pour toi. Je comprendrais si finalement tu ne voulais plus m'épouser, ça me briserait le cœur mais je comprendrais. Oh comme je me sens coupable ..
// Le soulagement qu'elle ressentait était au moins égal à l'incompréhension qui l'habitait. Pourquoi devait-il se sentir coupable ? Il croyait qu'elle ne l'aimait plus ? Il semblait dévasté. //
- Swaran. Swaran regarde moi. Tu n'es coupable de rien. De rien.
// Elle s'approcha et posa sa main sur sa joue. //
- Je ne vais certainement pas laisser échapper l'homme que j'aime pour quelque chose qui ne dépend pas de lui. Jamais je ne pourrais envisager ça. Oui, j'aurais été heureuse que l'on puisse avoir des enfants. Mais rien ne dit que je puisse en avoir ou supporter une grossesse. Tu sais que je ne suis pas très vaillante.
// Elle le força à poser ses doigts sur son poignet. C'était grâce à lui qu'elle avait eu la force de ne plus le cacher sous des immenses bracelets. //
- Tu ne m'épouserais pas pour mes capacités reproductrices, n'est-ce pas ?
// Son sourire fut doux. //
- Et bien, moi non plus. Si je veux t'épouser, c'était pour ce qui fait de toi... toi. Et si nous voulons un jour des enfants, on pourra en adopter.
// Elle ne savait pas comment mieux expliciter sa pensée. Avoir des enfants de lui n'était pas son but dans la vie. Elle voulait juste rentrer chez elle, chaque soir, pour le retrouver et se réveiller chaque matin pour le voir ébouriffé et encore à moitié endormi. Elle voulait vivre sa vie avec lui. Juste partager les plaisirs de tous les jours, tous les jours. //