L'Arche

[Selena Edelwes]

// Even Mecyan n'eut pas longtemps à attendre pour entendre la réponse qu'il espérait. Le visage de la jeune rousse s'animait au fur et à mesure qu'elle parlait. Elle vivait chacun des mots qu'elle prononçait. Elle mettait tant de passion dans son discours qu'elle en oubliait sa timidité. Even l'écoutait, ravi par ce qu'il entendait et émerveillé par sa ferveur. Claire, limpide, naturelle. Rien d'autre. //

- La Nature, je dirais même la nature avec un grand N. Tout ce qu'elle peut produire d'elle même, ses fleurs, ses arbres, ses paysages, mais aussi ses animaux, tous les petits trésors qu'elle montre à qui sait le voir. L'Arche...

// Le regard du marchombre se fit plus intense. L'Arche... Rechignerait-elle à aller au bout de sa réflexion ? Comprenait-elle véritablement la même chose que lui ? //

- Evidement, c'est un bel ouvrage, mais cela reste une réalisation humaine. Elle a donc moins de valeur à mes yeux que ce que la nature aurait pu produire d'elle même.

// Even Mecyan parvint de justesse à transformer le sourire niaiseux qui commençait à naître sur son visage en un sourire neutre. Par chance, ce fait passa inaperçu, la timidité de Kaena l'ayant rattrapée. Elle semblait à nouveau vouloir disparaître et s'était retournée vers sa jument. Pensif, Even hésitait sur la réponse qu'il allait lui donner. Il sentait bien qu'il l'intriguait. Mais avant de lui donner des réponses à des questions qu'elle ne lui avait même pas formulé, il voulait la tester.
Pourtant, était-ce bien nécessaire ? Il suffisait de la regarder... Et puis ce qu'elle lui avait dit... Even Mecyan se remémora les deux dernières phrases de son interlocutrice. Ah, que c'était beau ! Ah, que c'était vrai ! Even força son enthousiasme à redescendre. S'il se laissait aller à sa joie, le marchombre allait se forger une réputation à la hauteur de celle de Crétin. Enfin, du grand et vénérable Amarel Famor, le maître de son maître... Crétin, en somme. Il ne préférait pas y penser et s'efforça de retenir l'expression dégoulinante de contentement qui menaçait de s'afficher sur son visage.
Se rapprochant de Paluche pour mettre Kaena en confiance, le marchombre poursuivit nonchalamment la discussion. //

- Le Dessin n'est-il pas comparable à la Nature ?

// Even Mecyan avait parlé d'un ton neutre, paisible. S'arrêtant légèrement sur les mots « Dessin » et « Nature », il leur offrait une sorte de déférence détachée, les chargeant de sens.
Il était assez fier de sa question sibylline. Il était aussi assez curieux de voir la réaction de Kaena. L'air de rien, il continua de cajoler Paluche. Le pauvre cheval n'était pas encore tout à fait remis de sa traversée de l'Arche, il lui fallait du réconfort. Sous son calme apparent, Even s'autorisa à pester intérieurement : //

** Non mais vraiment ! Qui a bien pu trouver qu'un pont sans garde-fous était une bonne idée ? Un vieux dessinateur grabataire qui n'avait jamais quitté Al-Jeit ? Cette personne ne connaissait pas Paluche, pour sûr. Mon pauvre petit canasson, tu as bien mérité de te goinfrer d'herbe.**

[Winona]

// Kaena dissipait son malaise en caressant machinalement l'encolure de Nordlys. Elle ne pensait plus à rien au point qu'elle oublia qu'elle était en pleine discussion avec un certain Even Mecyan. La vacuité momentanée de son esprit fut interrompu par son interlocuteur qui reprenait : //

- Le Dessin n'est-il pas comparable à la Nature ?

// D'un seul coup, un flot de souvenirs se déversa dans la jeune fille, comme si quelqu'un ouvrait une vanne et que tout la submergeait d'un coup. Cette question, sibylline au premier abord, ne l'était pas tant au final. Elle était pleine de sens pour la jolie rousse. Pour une fois, elle sentit qu'elle pouvait se confier, peut-être parce que c'était à un inconnu qu'elle ne reverrait plus jamais qu'elle osa franchir le pas. Ses pensées s'entrechoquaient et les mots se pressaient tellement dans sa bouche qu'elle prit une grande inspiration avant de dire : //

- Quand j'étais petite, je voulais être Dessinatrice, pour être comme mes parents qui enseignent l'art du Dessin. Mais très vite, j'ai été déçue de comprendre que je n'avais pas ce don. Je me suis alors éloignée de beaucoup de choses, d'abord par tristesse de ne pas être comme eux et comme les enfants de tous le pays auxquels ils enseignaient. Je partais le matin, souvent avant le lever du soleil sur le dos de Fjorden, mon poney à l'époque et ne revenait que le soir, à la tombée de la nuit. Je partais découvrir la nature, observer ses petits et grands habitants, ses fleurs, ses paysages. Je prenais souvent avec moi un petit carnet pour me prouver, plus à moi même qu'à quiconque que je pouvais aussi exceller dans le domaine du dessin, mais à ma façon.

// Kaena fit une pause dans sa tirade histoire de faire un peu de tri dans ses pensées, enlever les inutiles pour ne garder que l'essentiel. Quelques secondes après, elle reprit : //

- Et maintenant, j'ai un peu de recul sur cette enfance où je vagabondais où bon me semble, je ne regrette plus de ne pas avoir ce don, il me semble même superflus quand on voit ce que la Nature peut offrir à qui sait l'entendre, voir même plus, l'écouter et la comprendre.

// Lorsqu'elle se tut, elle essaya de se souvenir de la question exacte d'Even, et elle se dit qu'elle ne devait pas s'en être trop éloignée au final. Cependant, une question lui brûlait la langue, et après s'être légèrement mordillée les lèvres, elle la formula simplement à haute voix. //

- Qui êtes-vous exactement ?

[Selena Edelwes]

** Pas la fougère, Paluche, pas la fougère ! **

// Even Mecyan poussa sans ménagements son cheval pour qu'il puisse continuer à se goinfrer sereinement. Pestant intérieurement contre la vacuité de l'esprit de son canasson, il caressa pourtant son encolure affectueusement. Reportant son attention sur la jeune fille qui lui faisait face, le marchombre sut qu'il avait posé la bonne question. Il la vit prendre une grande inspiration, comme si elle allait plonger définitivement dans un océan inconnu. La réponse ne se fit pas attendre. Elle était claire, limpide. Il n'y avait plus trace de timidité dans la voix de Kaena. Même sa posture avait légèrement changé : auparavant prête à la fuite, elle semblait désormais prête au partage. Des mots qui semblaient trop longtemps retenus sortaient, parfois maladroitement, mais toujours en une musique mélodieuse. Car oui, Even en cet instant avait la chance d'entendre la musique de la vie de Kaena, ce qu'elle avait vécu jusqu'alors. Il comprit ce qu'elle faisait ici, au lever du jour, devant l'Arche. Il comprit aussi ce qui l'avait émerveillé plus tôt, la force timide, l'harmonie paisible qu'il voyait devant lui. Kaena l'affirma elle-même en concluant le récit de sa vie, de son enfance : //

- Et maintenant, j'ai un peu de recul sur cette enfance où je vagabondais où bon me semble, je ne regrette plus de ne pas avoir ce don, il me semble même superflus quand on voit ce que la Nature peut offrir à qui sait l'entendre, voir même plus, l'écouter et la comprendre.

** Ca aussi, c'est un don, petite. Un don que tous possèdent mais que peu ont... **

// Enfant, Even s'était souvent demandé ce qu'il voyait de plus que les autres dans le vol d'une corneille, par exemple. Il avait mis du temps à se compte que la réponse était fort simple et un peu décevante : rien.
Nonobstant son envie de répondre, le marchombre garda le silence. Kaena se mordillait les lèvres, semblant vouloir ajouter quelque chose. //

- Qui êtes-vous exactement ?

// Even sourit. La question équivalait à « Pourquoi je vous ai dit tout ça ? » mais il n'était pas certain que Kaena en ait conscience. Il lui répondit avec douceur : //

- Je te l'ai dit tout à l'heure, je suis Even Mecyan.

// Et c'était vrai. Ce n'était pas qu'un nom, c'était le sien et c'était toute sa personnalité. Il était un fils des Marches du Nord, il était un Marchombre, il aimait son cheval malgré le goût de ce dernier pour les plantes toxiques et tant d'autres choses... Il était Even Mecyan. Et Even Mecyan avait à son tour une question à poser à la jeune rousse. //

- As-tu déjà entendu parler des Marchombres ?

[Winona]

// La jeune fille continua de se mordiller la langue, même après avoir posé sa question. Elle était mal à l'aise, des sentiments contradictoires l'envahissaient. Avait-elle bien fait de poser cette question un peu indiscrète ? Elle n'avait jamais osé poser une telle question à quiconque. //

- Je te l'ai dit tout à l'heure, je suis Even Mecyan.

// La réponse d'Even la fit sourire. Un sourire timide certes, mais un vrai sourire venant du fond du coeur. Elle aimait les petites blagues de ce genre, même si elle n'aimait pas par contre le montrer. Kaena resta silencieuse dans l'attente d'une suite à cette réponse. Elle se doutait qu'il n'avait pas fini, ou alors était-ce une idée qu'elle avait, elle ne voulait pas que sa question reste sans vraie réponse, elle ne voulait pas non plus devoir reposer à nouveau sa question, et surtout, devoir préciser à haute voix le fond de sa pensée, à savoir qui était-il vraiment pour s'intéresser à elle, à une simple jeune fille en train de dessiner un paysage matinal. Mais la suite de sa réponse ne fut qu'une question à son égard. //

- As-tu déjà entendu parler des Marchombres ?

// La question un peu surprenante au début prenait tout son sens au yeux de la jeune rousse. Elle était la pièce manquante de la scène qui se déroulait depuis ce matin au pied de l'Arche. Cela ne faisait que corroborer cette intuition qu'elle avait eu en venant ici, que cette rencontre n'était pas si fortuite que ça. //

- Les Marchombres ? commença-t-elle. Oui, j'en ai déjà entendu parler.

// Elle appuya sur le mot "entendu" et marqua un temps d'arrêt tout en se rappelant cette conversation qu'elle avait entendu entre ses parents, une nuit, alors qu'elle était censée dormir dans la carriole. //

- Personne ne m'en a parlé, j'ai seulement entendu mes parents mentionner leur soutien lors d'un trajet vers Al Far.

// Ses tâches de rousseurs devinrent un peu plus rousse, signe du gêne de la jeune fille. Elle allait paraître pour une inculte aux yeux de cet homme qui avait arrêté son chemin pour elle. //

[Selena Edelwes]

// Even Mecyan avait été légèrement déçu de voir son interlocutrice sourire lorsqu'il avait répondu à sa question. Elle n'avait pas vraiment compris ce qu'il voulait dire... Mais son sourire était sincère et le marchombre ne doutait pas qu'elle comprendrait un jour. Après tout, elle ne le connaissait pas encore, c'était lui qui en attendait trop. Il avait donc poursuivi, lui demandant ce qu'elle savait des marchombres. //

- Les Marchombres ? Oui, j'en ai déjà entendu parler.

// Elle ne semblait pas très sûre d'elle et Even la laissa poursuivre, sentant qu'elle voulait ajouter quelque chose. //

- Personne ne m'en a parlé, j'ai seulement entendu mes parents mentionner leur soutien lors d'un trajet vers Al Far.

// La timidité de Kaena avait repris le dessus, et elle paraissait vouloir disparaître. Peut-être était-elle gênée de son ignorance ? Even entrepris de la rassurer : //

- La plupart des alaviriens n'en savent pas plus que toi, ne t'en fais pas. Et ceux qui se targuent de bien connaître notre guilde ne sont généralement que des affabulateurs !

// Even fit une pause, cherchant ses mots. Il voulait être clair et précis, mais n'avait jamais été très doué pour les longs discours. Ni pour les discours, d'ailleurs. //

- Les Marchombres sont euuuh des êtres humains. Une guilde, ça je l'ai dit.

// Even avait conscience qu'il se ridiculisait à chaque mot un peu plus. Il soupira et tenta de reprendre, n'osant même pas regarder la tête que faisait Kaena - si elle était toujours là. //

- Je te rassure, tous les marchombres ne sont pas aussi... Comme moi. Enfin, pour t'expliquer ce que sont les marchombres... Notre but et notre raison d'être est d'avancer sur la Voie. Cette Voie mène à l'Harmonie et est faite d'Harmonie.

** De mieux en mieux. Je suis passé du stade "je dis n'importe quoi" à "je fais des métaphores à deux myrins". Désespérant **

- Bon, je sais, c'est pas clair. Ridicule et pas clair. Regarde, plutôt.

// Even s'immobilisa complètement, attendit quelques secondes, puis fit la fougère. C'était l'un des exercices que son maître, Lunilo, affectionnait tout particulièrement. Le but ? Ressembler à une fougère. Il fallait se mettre en plein vent - au pied de l'Arche, les conditions étaient idéales - puis se laisser onduler au gré du vent, exactement comme si l'on était une fougère. Ainsi, celui qui vous observait en train de faire la fougère pouvait "voir le vent", puisque vous retranscriviez ses moindres mouvements.

Kaena devrait arriver à "voir le vent" et comprendrait ainsi ce que c'était qu'être marchombre... //

[Winona]

// Kaena avait plongé son visage dans le cou de sa jument et repensa aux nombreux voyages itinérants qu'elle avait fait durant sa jeunesse. Elle faillit même manquer les premiers mots que prononça son interlocuteur. //

- La plupart des alaviriens n'en savent pas plus que toi, ne t'en fais pas. Et ceux qui se targuent de bien connaître notre guilde ne sont généralement que des affabulateurs !

// La jeune fille osa à peine tourner la tête vers Even. Elle se sentait ridicule par rapport à la personne en face d'elle. Mais les mots firent leur chemin dans sa tête alors qu'Even continuait de lui expliquer ce qu'était les Marchombres. En l'entendent soupirer, elle osa le regarder en face, mais ce fut le tour du jeune homme de détourner le regard, il ne semblait pas très à l'aise pour formuler ses pensées et cela réconforta un tout petit peu Kaena. Elle n'était pas la seule à être très timide. Mais plus il parlait plus la jeune rousse comprenait le fameux pressentiment qui la suivait depuis ce matin. Elle n'était pas là par hasard, ou alors le hasard faisait bien les choses, mais elle ne croyait pas spécialement au hasard. Elle devait rencontrer cet homme, elle devait parler avec Even en bravant sa timidité, elle devait découvrir qu'il était un Marchombre. //

- Bon, je sais, c'est pas clair. Ridicule et pas clair. Regarde, plutôt.

// Kaena le vit se tourner dans une direction qui lui sembla tout d'abord choisie au hasard. Il ne se passa rien au début et elle essaya de comprendre ce qu'il voulait lui montrer. Elle essaya de voir si cela avait un rapport quelconque avec le soleil, mais elle écarta rapidement cette hypothèse. //

**Essaie de voir au-delà des apparences ! **

// Se dit-elle pour elle-même. Et alors qu'elle fit abstraction de ce qui l'entourait, du lieu où elle se trouvait, elle comprit. Even ondulait très légèrement, un peu plus par moment, parfois le mouvement était presque imperceptible, mais la jeune fille comprit le vent, même plus, elle vit le vent. C'était quelque chose de complètement inénarrable, qui se ressentait et qui se voyait. Even faisait corps avec la nature qui l'entourait, c'était fascinant à regarder. Kaena se demanda si elle pouvait elle aussi essayer, et si elle pouvait y arriver. Alors elle s'approcha pour se mettre non loin de lui, dans la même direction. Elle essaya de ne se concentrer que sur le vent. //

[Selena Edelwes]

// Kaena semblait perplexe... Faire la fougère. Even Mecyan se fustigea intérieurement. Voilà une idée bien stupide pour expliquer ce que sont les marchombres à une jeune fille à qui il se devait de montrer la Voie. Pourtant... Even était bien plus convaincant en fougère qu'en être humain. Et il le savait. Ce n'était pas toujours facile à vivre, certes, mais c'était réconfortant. Il était au moins convaincant dans un domaine... Pas comme... Le vent se fit plus sournois, coupant court à son début de médisance. Le maître marchombre se joua de lui aussi facilement que s'il s'était agi du plus doux aquilon. Il risqua un regard vers Kaena et ce qu'il vit le soulagea, tout n'était pas perdu pour lui. Le visage de la jeune fille était concentré, elle essayait de comprendre... Puis elle comprit. L'évidence se lisait sur son visage. Even sourit. Kaena parut hésiter puis vint se positionner comme lui, à quelque distance, elle essayait de faire la fougère, elle aussi ! Even Mecyan était aux anges. Il cessa son petit manège avec le vent pour se concentrer sur la jeune rousse. //

- Ne cherche pas à lui faire barrage, ni à le comprendre, dans un premier temps. Laisse-le guider tes mouvements.

// Even hésita à nommer à haute voix cet exercice. Devait-il lui dire ? Il se souvenait d'avoir éclaté de rire quand son propre maître lui avait annoncé "tu vas apprendre à faire la fougère"... Il était pourtant apprenti depuis de longs mois, à l'époque. Kaena se débrouillait bien, il n'avait peut-être pas besoin... Le plus sérieusement du monde, Even poursuivit : //

- Tu es une fougère. Tu ondules au gré du vent, en restant toutefois enracinée au sol... C'est en étant fougère que tu pourras comprendre le vent, de l'intérieur. Et moi, en t'observant, je pourrai le voir.

// Even observa avec satisfaction les mouvements de la jeune fille. L'harmonie qui se dégageait de sa personne et qui l'avait frappé plus tôt le saisit à nouveau. Cachant son admiration, il affirma posément : //

- Le marchombre suit un apprentissage rigoureux afin d'acquérir une maîtrise de lui-même et de toutes sortes de savoirs et, surtout, de progresser sur la Voie. Trois années durant, son maître le forme, le guide, l'accompagne sur la Voie. Un choix se montre à toi aujourd'hui. Veux-tu être mon apprentie ?

// Even se tourna vers Paluche. Il se tournait souvent vers son cheval quand il était en quête d'une quelconque approbation. Paluche le fixa quelques secondes puis se remit à brouter l'herbe tel le goinfre qu'il était. //

- Il est possible que ça te paraisse précipité... Ça te paraît précipité ?

// Aucune trace d'anxiété dans sa voix. Juste une interrogation. Il ne voulait pas brusquer la jeune fille. Après l'assassinat de l'un des membres du Conseil, le marchombre allait devoir demeurer un temps à Al-Jeit... Seuls ceux qui escortaient des caravanes d'Itinérants loin au nord ne s'étaient pas mis en route pour la capitale. Il devrait d'ailleurs évoquer à Kaena le trouble qui agitait la Guilde, ce qui n'était pas pour le réjouir. Even se demanda un instant s'il était bien raisonnable de prendre une apprentie en ces temps troublés, mais il chassa son doute aussitôt. Rien ne pouvait ni ne devait entraver leur progression sur la Voie. Le Conseil plébisciterait son choix, même s'il choisissait de présenter son apprentie au plus fort des troubles. Mecyan le savait. Tout était si simple, parfois. Il sourit. //

[Winona]

// Alors que Kaena tentait d'imiter Even, celui s'arrêta pour l'observer. La jeune fille du faire abstraction de lui au risque de devenir plus rouge que les plus rouge de ses cheveux roux. Pourtant lorsqu'il parla, sa voix semblait si lointaine. Il lui disait de lâcher prise, de se laisse aller. La jeune fille se détendit un peu et se laissa porter par les paroles d'Even : //

- Tu es une fougère. Tu ondules au gré du vent, en restant toutefois enracinée au sol... C'est en étant fougère que tu pourras comprendre le vent, de l'intérieur. Et moi, en t'observant, je pourrai le voir.

// La jeune fille essaya de penser fougère, de s'imaginer fougère, elle fit venir dans son esprit une image d'une fougère et elle essaya de s'en imprégner mais sans trop se concentrer dessus. Un petit coup de vent lui rappela qu'elle devait aussi prendre en compte son environnement et pas se concentrer sur la fougère. Elle ne devais se concentrer sur rien d'ailleurs. C'est alors qu'un deuxième coup de vent arriva et Kaena, sans rien décider ni prévoir se mit à onduler. Elle laissa alors le vent jouer un peu avec son corps et ses cheveux. Les paroles d'Even parvinrent à ses oreilles et elle sortit de sa torpeur pour mieux l'écouter. //

- Le marchombre suit un apprentissage rigoureux afin d'acquérir une maîtrise de lui-même et de toutes sortes de savoirs et, surtout, de progresser sur la Voie. Trois années durant, son maître le forme, le guide, l'accompagne sur la Voie. Un choix se montre à toi aujourd'hui. Veux-tu être mon apprentie ?

// Le jeune rousse intégra ses paroles et se laissa quelques secondes de réflexion pour répondre à la proposition d'Even Mecyan. Même si son choix semblait déjà arrêté, elle ne voulait pas faire d'erreur. de plus en plus, cela sonnait comme une évidence pour elle. Oui, elle le voulait. Elle n'avait pas encore formulé ces mots à haute voix que son interlocuteur repris : //

- Il est possible que ça te paraisse précipité... Ça te paraît précipité ?

- Non.

// Dit-elle simplement, avant de se dire qu'il fallait qu'elle précise à quelle question elle répondait, sinon sa réponse allait paraitre très ambigüe. //

- Non, cela ne me parait pas précipité. Cela semble presque une évidence pour moi... Oui, je veux bien être votre... ton apprentie.

// L'émotion du moment lui fit se demander si elle le vouvoyait ou le tutoyait depuis le début. En observant Even, elle le vit jeter un coup d'oeil en direction de la capitale. Peut-être était-ce en lien avec des évènements étranges qui se passait à Al Jeit ? En tout cas, les journaux n'étaient pas entrés dans le détails, peut-être pour obvier au problème le plus rapidement possible ? //

[Selena Edelwes]

- Non.

// Even Mecyan se demanda à quoi la jeune fille disait non. Son ton n'était ni grave ni incertain. Elle ne pouvait pas répondre aussi légèrement à sa proposition d'apprentissage. Et surtout, elle ne pouvait pas refuser. En écho à ses pensée, Kaena précisa : //

- Non, cela ne me parait pas précipité.

** Ah, oui. C'est vrai que je lui avais demandé ça. Un élan de politesse dont je n'ai manifestement pas l'habitude... Pauvre garçon, il va falloir travailler tes manières ! **

- Cela semble presque une évidence pour moi... Oui, je veux bien être votre... ton apprentie.

// L'hésitation de Kaena sur son passage au tutoiement amusa Even. Mais l'important n'était pas là. Ces quelques mots avaient produit un effet extraordinaire sur le maître marchombre. Il voyait devant lui s'ouvrir une nouvelle Voie, celle de l'apprentissage. Cette Voie qu'ils parcourraient à deux, ensemble. Maître et élève. Il sentait le poids nouveau de son rôle de guide, d'éclaireur, de maître. Il sentait Kaena à ses côtés, dansant déjà sur cette Voie qu'elle empruntait naturellement. Son bonheur à cet instant était inénarrable, absolu, incomparable... et mêlé à une certaine touche de fierté. Fierté d'avoir une telle apprentie. Fierté de le savoir. Et enfin, cette petite pointe d'orgueil qu'il avait d'être celui qui lui ferait découvrir la Voie.
Cachant ce déferlement d'émotion à son apprentie et lui offrant un sincère et large sourire, il lui tendit la main. C'était peut-être absurde, les marchombres ne se serraient pas la main au début d'un apprentissage. Mais ce geste lui était venu presque malgré lui, héritage sans doute d'une coutume de son enfance où toute cedde était conclue d'une poignée de main. Après tout, ils venaient d'en faire un, le Pacte des Marchombres... Even arrêta sa dérive mentale mégalomaniaque. Le Conseil, le meurtre, les temps troublés : il était temps d'en toucher mot à Kaena. //

- Tu en as peut-être entendu parler, je ne sais pas exactement quelle est la situation à Al-Jeit... Pour faire simple, la Guilde des Marchombres vit une période de troubles : un membre du haut Conseil a été assassiné et cet événement reste entouré de mystères. Je n'en sais pas plus pour l'instant et - comme la plupart des marchombres - je me rendais à la capitale pour tenter d'y voir plus clair.
Nous allons demeurer à Al-Jeit quelques temps. Mais ne t'en fais pas, nous allons également nous occuper de ton apprentissage !

// Even réfléchit un instant puis ajouta : //

- Tu m'as dit que tes parents enseignaient le Dessin. Je suppose que tu vis avec eux, à Al-Jeit ? Si c'est le cas, je te laisse le choix pour l'instant. Tu peux t'installer avec moi, mais puisque j'aurais légèrement moins de temps que ce que je souhaiterais à t'accorder, tu peux aussi demeurer chez eux. Il sera bien assez tôt temps de faire tes valises !

// Après un bref regard vers le maigre bagage que transportait Paluche, Even Mecyan eut un petit rire. //

- Façon de parler, bien sûr !

[Winona]

// Even semblait s'amuser de sa timidité, ce qui la fit rougir encore plus. //

** De toute façon, rouge ou rouge, il ne verra plus la différence. **

// C'est avec un regard repli de fierté qu'il lui tendit la main pour la serrer. Kaena la lui serra tout en rendant son sourire à son maître. Elle aussi était fière d'avoir un maître, d'avoir quelqu'un pour lui apprendre la vie en quelque sorte, mais surtout, elle ne se l'avouait qu'à elle-même, quelqu'un qui l'avait remarqué, elle et juste elle, personne d'autre, alors qu'elle avait l'habitude de se fondre dans le paysage et dans son environnement, de passer quasiment invisible aux yeux des autres. Cependant, quand Even se remit à parler, son ton était différent. //

- Tu en as peut-être entendu parler, je ne sais pas exactement quelle est la situation à Al-Jeit... Pour faire simple, la Guilde des Marchombres vit une période de troubles : un membre du haut Conseil a été assassiné et cet événement reste entouré de mystères. Je n'en sais pas plus pour l'instant et - comme la plupart des marchombres - je me rendais à la capitale pour tenter d'y voir plus clair.
Nous allons demeurer à Al-Jeit quelques temps. Mais ne t'en fais pas, nous allons également nous occuper de ton apprentissage !

// La dernière phrase rassura la jeune rousse, Even n'allait pas l'abandonner de ci-tôt alors qu'elle venait juste d'entre-voir un sens à son avenir, une suite à sa vie. Elle n'eut pas le temps de faire un commentaire que déjà il reprenait. //

- Tu m'as dit que tes parents enseignaient le Dessin. Je suppose que tu vis avec eux, à Al-Jeit ? Si c'est le cas, je te laisse le choix pour l'instant. Tu peux t'installer avec moi, mais puisque j'aurais légèrement moins de temps que ce que je souhaiterais à t'accorder, tu peux aussi demeurer chez eux. Il sera bien assez tôt temps de faire tes valises ! Façon de parler, bien sûr !

- Oui, mes parents enseignent bien le dessin à Al-Jeit pour le moment. On voyage assez souvent, mais nous avons une maison dans la capitale.

// La jeune fille prit quelques instants pour réfléchir à sa proposition. Quitter le domicile familiale ou y rester encore un peu. Elle n'y croisait ses parents que lors du dîner du soir, le reste du temps, elle s'occupait seule, se promenant dans la ville, dans la campagne alentour, ou allant à l'école certains jours. Elle n'aurait pas beaucoup de mal à convaincre ses parents de la laisser partir et de ne faire peut-être qu'une brève apparition pendant son apprentissage, ses parents comprendront son choix. Elle imagina son père en train de lui faire des recommandations : "Si cela te fait plaisir, va, fait ce que bon te semble, et n'oublie pas de prendre un chapeau pour ne pas attraper de coup de soleil !" finirait-il par dire sur le ton de la rigolade. Évidemment, même s'ils n'oseraient pas le dire, leur fille unique leur manquerait un peu, mais à la maison, la réalisation de ses choix et de sa vie est plus importante. C'est donc plus confiante qu'elle répondit : //

- Je pense que je vais rester quelques jours chez mes parents, afin qu'ils ne soient pas pris au dépourvu et ensuite je partirai. Je n'ai pas grand chose de personnel, alors pas besoin de valise, un sac à dos et en moins d'une heure, tout sera prêt.

// Kaena se tourna vers Nordlys, sa jument, et la regarda dans les yeux avec un regard qui voulait dire : "Prête pour l'aventure ma grande ?" //