Logan s’était réveillé du mauvais pied ce matin. La nuit n’avait pas été terrible. D’abord, parce qu’il n’avait que peu dormi et ensuite parce que l’un de ses colocataires de chambré avait ronflé sans interruption. De plus, Jack n’était toujours pas rentrée et ne lui avait donc pas tenu compagnie. Grincheux et de mauvais poil, il était descendu en salle commune dans l’espoir de trouver une ou deux personnes à martyriser. Et là, ce fut le drame. Ladite salle était déserte. Il n’y avait personne, littéralement déserte. Pourtant, à cette heure-ci, il aurait dû y trouver du monde, au moins quelques Serdaigles faisant leurs devoirs ou papotant, mais non. Nada. Rien. Nothing. Niente. Nichts. Il soupira, la journée ne s’annonçait point glorieuse, loin de là. Cependant, en bon Serdaigle, il se rendit compte que quelque chose clochait. Il n’y avait personne, justement. Et comme il l’avait fait remarquer, ce n’était pas vraiment normal. Une question s’imposa naturellement, où étaient-ils tous passés ? Nouveau soupir. En l’état actuel des évènements, il n’avait que peu envie de chercher la réponse à cette interrogation. Néanmoins, il était clair qu’il n’avait rien d’autre à faire. Résigné, il traîna des pieds jusqu’au tableau d’affichage. Peut-être y avait-il une activité de prévue, comme un match de Quidditch. Ou non. Au fur et à mesure qu’il lisait le dernier parchemin placardé en date, un sourire naissait sur son visage.
« Aujourd’hui, voyage à Londres. Un jeu de piste intitulé À la recherche des signes aura lieu le matin et bien évidemment, les élèves participant à ce voyage bénéficieront d’un temps libre dans le centre-ville l’après-midi. Veuillez-vous rendre dans la cour du château pour prendre le Magicobus. Soyez à l’heure et n’oubliez pas votre autorisation de sortie. »
Un voyage à Londres… C’était une opportunité à saisir, si seulement il n’y avait pas eu ce maudit jeu de piste. Logan n’avait aucune envie de devoir s’occuper de premières années et encore moins de se les coltiner, ce qui revenait un peu au même. Néanmoins, cela le démangeait de se faire un nouveau tatouage, il n’en avait pas eu l’occasion durant les dernières vacances scolaires et il était presque en manque. Il se sentait nu et cette sensation lui était extrêmement désagréable. Cependant, il restait hésitant… Toute une matinée à encadrer des premières années ? Vraiment ? Ses yeux faisaient des allers-retours entre le panneau d’affichage et l’escalier menant au dortoir. Violon et Jack ou tatouages et premières années ? Dur choix, voir même dilemme cornélien. Puis d’un coup, un morceau de papier, plus ancien que la note du voyage, mais en réalité plus récent que cette dernière, attira son regard. Le parchemin était déchiré et une liste de noms y était inscrite. Quelqu’un avait eu la bonne idée d’établir ce papier pour permettre aux autres de savoir qui se rendrait à ce voyage, amis comme ennemis. Un nom en particulier titilla l’intérêt de Logan. Lasbelin Jones. Autrement surnommée La fille par le septième année. Voilà qui redonnait soudainement un intérêt certain pour ce voyage. Au diable les premières années, il n’aurait qu’à se glisser discrètement dans son groupe, il laisserait les autres faire le travail exécrable de s’occuper de têtes ignorantes et s’occuperait quant à lui d’observer cette jeune femme. Il repensa à l’unique fois où elle lui avait adressé la parole. Un unique mot. Une explosion de sentiments. Un frisson remonta son échine, électrisant la moindre parcelle de peau de son corps.
Sur cette joyeuse nouvelle, il grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier menant aux dortoirs pour y passer des habits moldus. Il ouvrit son placard et en sorti un jean bleu marine délavé qu’il accompagna d’un tee-shirt classique, noir, affublé d’une tête de mort. Classique. Et passe partout pour les jeunes d’aujourd’hui, il ne détonnerait pas avec la faune du salon de tatouages. Après avoir enfilé rapidement ces vêtements, il regarda sa montre, se rendit compte de son presque retard, attrapa en vitesse un sac dans lequel il fourra quelques billets de livres sterling accompagné d’un faux pour son autorisation de sortie qu’il compléta rapidement et courut vers la cour du château. Deux minutes de course lui suffirent pour atteindre son but. Très calmement, il respira un grand coup pour paraître calme et détendu, mais resta essoufflé pour ne pouvoir montrer son autorisation qu’une brève seconde ; il n’avait guère eu le temps de peaufiner les détails et un examen approfondi lui serait fatal. Heureusement pour lui, le magicobus s’apprêtait à partir et on le houspilla sur son retard sans être trop regardant sur le papier qu’il présenta. Il n’eut que le temps de trouver une place avant que le véhicule ne démarre.
Il fut chanceux, sa place était située deux rangs derrière celle de Lasbelin, dans l’exacte diagonale de telle sorte qu’il pouvait garder un œil sur elle sans se faire remarquer. Il l’observa de temps en temps durant le trajet, gardant néanmoins un livre avec lui, pour être un minimum discret. En soi, il se fichait qu’elle le repère, au contraire, il voulait même être repéré. Plus que cela, il voulait attiser sa curiosité, qu’elle vienne, qu’elle le suive, qu’elle l’aborde. Ce jeu lui offrirait un divertissement plaisant auquel il ne pourrait résister. Oh, qu’il avait hâte que la confrontation ait lieu. Cela faisait plusieurs semaines, pour tout dire plusieurs mois qu’il l’espionnait. Dans un premier temps, il voulait seulement en apprendre plus, puis peu à peu, il avait volontairement commis des erreurs. Il voulait qu’elle sache et si elle n’était pas stupide – il ne doutait pas de ce point, elle devait forcément être intelligente – elle l’avait repéré depuis déjà quelques semaines au moins. Il avait très bien pu se trahir inconsciemment avant de le décider consciemment. Il fut interrompu dans le fil de ses pensées lorsque le bus s’arrêta brusquement. Lasbelin fut l’une des premières à se lever.
- Merci… souffla-t-il.
Ce moment était parfait, elle était la seule levée dans son champ de vision, lui offrant la possibilité de garder une image d’elle intemporelle dans son esprit. Une sorte de capture d’écran si vous préférez, sa mémoire eidétique le lui permettait et il devait avouer que c’était fabuleux. Elle se tenait là, droite, et pourtant d’une désinvolture magnifique. Ses cheveux, très courts, presque provocants, étaient de la couleur du chatoiement des rayons du soleil sur l’eau. Il n’aimait pas l’eau, mais il aimait le soleil et cette couleur, ce phénomène était l’alliance parfaite de sa passion et sa phobie. Une image puissante, un symbole fort. Comme une promesse d’un mariage harmonieux entre deux opposés. Il aimait ces paradoxes, il s’en délectait et passait son temps à les chercher. Ses vêtements, trop grands pour elle, ne pouvaient que souligner la finesse des parties découvertes de son corps. Des mains fines et grandes, une nuque mince donnant sur un visage du même aspect. Il y avait chez cette jeune femme un esprit de continuité flagrant qui entraînait une déflagration chez Logan. Et il en ignorait la signification. Il rangea précieusement cette image dans un coin de son cerveau et quitta le bus à la suite des autres élèves.
Les groupes se formèrent dans un grand et joyeux brouhaha. Un tel appelait son meilleur ami à l'autre bout du groupe, tandis que une telle cherchait à retrouver sa moitié pour pouvoir passer la journée avec elle. Logan, quant à lui, se contenta de filer discrètement Lasbelin et de s'incorporer à son groupe, sans en faire des tonnes. Heureusement pour lui, il y avait suffisamment de cinquièmes, sixièmes et septièmes années pour qu'il n'ait point à se préoccuper trop des petites têtes blondes qui pour certains ouvraient de grands yeux émerveillés et ignares sur le monde moldu, ne cessant de montrer telle ou telle chose du doigt. Le jeune homme aurait bien voulu en recadrer au moins un ou deux, uniquement pour les embêter, mais il devait faire attention à son comportement de telle sorte à ce que personne ne se rende compte de sa disparition lors du futur temps libre. Ses mains se crispèrent à cette pensée. Oh, qu'il avait hâte. Il comprenait maintenant l'expression « se sentir comme un enfant attendant Noël ». Il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir se faire tatouer au moment où une professeure s'exclama que le jeu de piste allait pouvoir commencer, elle réexpliqua pour la centième fois au moins les consignes de sécurité, fit ses dernières recommandations aux plus âgés et elle lâcha enfin les élèves dans le grand Londres.
Le Serdaigle savait qu'il devait se contenter de suivre son groupe, en restant derrière pour soit disant fermer la marche, mais il ne pouvait cacher son ennui qui, pour une fois, se lisait sur son visage. Non, mais sérieusement, chercher des signes magiques dans la ville de Londres ? Qu'est-ce que cela pouvait bien leur apporter ? Il y avait beaucoup mieux à faire et à voir surtout. Piccadilly Circus pour les Gryffondor qui ne cesseraient de s'extasier devant ces quatre magnifiques statues de lion en bronze. Ou bien, le Saint James Park, où l'on pouvait y observer des écureuils de tellement près que cela en devenait irréel. Et le vieux Londres... Les bords de la Tamise... Que de rêves hors d'atteinte. Non, il devait se contenter de suivre et d'en réalité d'encadrer un troupeau de moutons qui tendait des bras dans tous les sens croyant apercevoir tel ou tel signe, ici ou là, puis le baissant presque immédiatement par déception. Non, ce n'était pas ça ou non, ce n'était pas présent sur le parchemin distribué dans le magicobus. Ce parchemin d'ailleurs... où l'avait-il rangé déjà ? Ah oui, il s'était retenu de le balancer dès l'instant même où il l'avait eu en mains. Il le retrouva finalement, froissé et il se contenta de le tenir, sans même y jeter un simple coup d'œil. Cela n'en valait pas la peine. Néanmoins, il devait jouer son rôle de grand et malheureusement pour ce première année qu'il remarqua à traîner toujours trois ou quatre bon mètres derrière le groupe, il allait tout de même s'accorder quelques petits plaisirs tels que celui-ci...
- Hé, toi ! Fait donc l'effort de suivre un peu plus, Monsieur Tête-En-L'Air. L'admonesta-t-il en lui administrant une calotte derrière la tête.
Le pauvre petit ne demanda pas son reste et se dépêcha d'accélérer. Cependant, Logan se reprit à ce petit manège encore plusieurs fois avant la fin de ce jeu. La matinée passa donc lentement, voir même très lentement. Lasbelin ne faisait rien de particulier, rien de bien intéressant et il ne pouvait point se permettre de laisser son esprit virevolter vers d'autres pensées s'il ne voulait pas qu'on vienne lui demander de faire un peu plus son job. Il n'était visiblement pas le seul pour qui encadrer des plus jeunes n'était pas vraiment une partie de plaisir. Alors, en désespoir de cause, il passa la plus grande partie du temps à regarder le temps passer, en priant pour qu'il passe un peu plus vite. Oui, il connaissait l'adage concernant la valeur du temps selon l'intérêt que la personne porte à faire une activité ou une autre. Et actuellement, son intérêt était nul. Heureusement pour lui, il faisait partie d'un groupe qui malgré tout se trouvait être plutôt efficace. Ainsi, ils purent rejoindre le point de rencontre imposé par leurs professeurs assez vite. Et ce fait avec pour signification aux yeux du garçon une future libération. Il ne lui restait plus que la pause déjeuner et il serait déjà parti avant même que quelqu'un eut le temps de dire ouf.
Et ce fut le cas. Dès l'instant où la pause avait été décrétée, Logan avait englouti son sandwich et s'était envolé. Arpentant les rues de Londres depuis bientôt une dizaine d'années, il retrouva rapidement ses repères, comme il les retrouvait à chaque fois qu'il y retournait durant les vacances scolaires. Il se sentait chez lui parmi toutes ces rues, au milieu des voitures, des personnes pressées et des autres éléments qui dans leur ensemble formaient cette ville fourmillante de vie. C'était sa ville, son espace, il s'y mouvait avec aisance et nonchalance. Par nostalgie, il ne put s'empêcher de faire un détour par le trottoir qui, autrefois, avait été son lieu de travail. Un autre petit garçon s'y trouvait aujourd'hui, il ne jouait d'aucun instrument et se contentait de faire la manche. Cet endroit était devenu morne, et ennuyant. N'accordant pas plus de place pour ces sentiments niaiseux, il se hâta et prit la direction de son salon de tatouage habituel. C'était un salon particulier, qui était déclaré sans vraiment l'être, sa situation était assez trouble, mais il avait la particularité de n'engager que d'excellents copieurs qui, pour la plupart, avaient été repêchés dans la rue, bien souvent des tagueurs. Cependant, quelques faussaires y travaillaient aussi, souvent dans l'attente d'un job qui leur rapporterait plus. Ce salon s'appelait Le Crâne de Cristal.
Logan n’eut aucun mal à pousser la porte du salon, le sol n’était pas encombré par divers objets. Lorsqu’il entra, il dut plisser les yeux, la lumière était vive, blanche. Ces deux conditions de travail étaient celles des faussaires uniquement. Cependant, pour qu’il y ait tant de lumière, cela voulait dire qu’Il était là. Intérieurement, le jeune homme pria pour qu’il soit disponible. Cela faisait maintenant des années qu’il avait un projet, mais il ne voulait pas le confier à n’importe qui. Surtout que ce projet nécessitait Ses mains, et aucunes autres. Il voulait que ce tatouage soit plus réaliste que tous les autres, dusse-t-il y rester plusieurs heures et il n’en doutait pas que cela prendrait au moins ce temps. Pourtant, l’élément était petit, mais Logan le voulait précis, plus précis que n’importe quel autre. Plusieurs fois, il s’était présenté au salon en sachant qu’Il était là, mais comme bien souvent, un autre amateur de son art l’avait déjà harponné. Or, monsieur Lewis n’était pas un amateur, non, c’était un passionné. Il admirait le travail que fournissait cet homme. D’ailleurs, en parlant du loup, ce dernier apparut dans l’encadrement de la porte du fond.
- Qui vois-je… Logan… J’ai du temps cette fois, à moins que tu ne veuilles céder ta place ? dit-il en regardant derrière l’épaule du jeune adulte. Mais il me semble que tu attends ce moment depuis quelques temps déjà… alors hâte toi où je me vends au plus offrant.
La voix passait en un instant d’une émotion à une autre et il savait que s’il n’acquiesçait pas immédiatement, il pourrait toujours courir pour avoir ce qu’il voulait. Sans un regard pour la personne derrière lui, qui devait déjà avoir des billets en main s’il en croyait le discours du tatoueur, il se faufila à sa suite dans l’arrière salle. Il était déjà prêt, matériel disposé, gants enfilés. Sans un mot, Logan prit place, attrapa son portefeuille et en sortit un billet de un dollar américain. Il indiqua brièvement Le revers du Grand Sceau, uniquement le rond et son épaule droite, il avait déjà quelque chose à gauche. Ce symbole, le revers du Grand Sceau, n’est autre qu’une pyramide de treize étages, avec l’inscription « MDCCLXXVI » figurant à sa base, surmontée d’un œil. Le garçon prenait la signification de cet œil comme étant « je vois tout, je suis partout » et non comme un quelconque symbole conspirationniste, surtout que l’œil de la providence est communément rattaché aux Franc-Maçon. Sans oublier les devises « Annuit cœptis » et « Novus ordo seclorum », soit « Il approuve cette entreprise » – en référence à Dieu – et « Le nouvel ordre des siècles ». Le maître faussaire lui indiqua qu’il était prêt, Logan retira son tee-shirt et laissa son cerveau vagabonder.
L’opération dura trois heures entières et ni le tatoueur, ni le tatoué ne pipèrent mot. Une fois la tâche terminée, le pansement apposé, il laissa un nombre suffisant de billets sur la table, remit son tee-shirt et quitta l’établissement. Cette rencontre n’avait pas eu lieu. Logan jeta un bref coup d’œil à sa montre, il allait être en retard. Un sourire contenu s’étalait sur son visage, il s’en contrefichait. Il avait enfin eu ce qu’il attendait depuis des années, en cet instant, il se sentait particulièrement heureux et n’avait qu’une hâte : celle de se retrouver seul pour pouvoir observer l’œuvre qui ornait dorénavant son épaule droite. Conformément à ses habitudes, Il avait certainement dû reproduire chaque détail à une échelle de trois sur un. Cela promettait d’être merveilleusement beau. Loin de se presser, l’élève de Serdaigle eut largement le temps d’apercevoir le troupeau d’élève patientant devant le magicobus. Ce triste spectacle le ramena brusquement à la réalité, la triste réalité. Il devait retourner à Poudlard. Certes, durant sa jeunesse, cet endroit l’avait sauvé, mais maintenant qu’il atteignait les dix-sept ans, voir peut-être un peu plus, il recherchait une liberté d’action dont les exigences ne cessaient de croître. Il voulait être libre et une école, fusse-t-elle de magie, ne lui accordait guère ce sentiment essentiel à son être. Avec un soupir, il se présenta devant le véhicule et on le houspilla une seconde fois de son retard et il n’eut que le temps de trouver une place avant que le bus ne démarre. La boucle était bouclée.