Ruelle sombre

[Miss RP]

Ruelle sombre

// Rome ne s'est pas faite en un jour, et la capitale de Gwendalavir non plus. Et qui dit grande ville dit généralement quartiers pauvres, Al-Jeit ne faisant pas exception. Parce que ce n'est pas seulement l'Académie, l'architecture fabuleuse et les grandes rues pavées. Au delà du marché coloré et des jolies fontaines, lorsque toi, visiteur inconscient en quête d'aventure, tu traverses la petite place pour emprunter une rue adjacente, en te perdant à chaque croisement, dans les passages sans issue, tu finiras sans doute par en trouver, une ruelle sombre des bas quartiers.

En voilà l'une d'elle justement, d'apparence si vide, si silencieuse, et pourtant si ... vivante. Elle porte le doux surnom de la ruelle du Coupe-Gorge. Symbole du revers de la médaille, de l'autre côté du décor, celui qu'on ne voit pas sur les cartes postales. Repaire de la mendicité le jour, et de la criminalité la nuit. On s'y avance à pas de loup, de peur de toujours troubler le repos de la sinistre ruelle. Son éclairage faible projette sur les murs de pierre l'ombre tantôt de l'homme pressé, celui qui la traverse sans même la voir, l'habitué qui n'a plus peur, tantôt du chat sauvage, chat de gouttière abandonné qui hérisse son poil en vous entendant arriver, parfois même d'un enfant, un va-nu-pied, un mendiant très certainement. Le caniveau grouille de saletés, d'insectes et de vie bactérienne bien peu ragoûtante, sans parler de l'odeur de déchets et de charogne qui agresse les sinus fragiles des braves gens des beaux quartiers. Peut-être un cadavre de rat ou de corbeau, en décomposition au pied du mur, tirera une grimace de dégoût au pauvre visiteur.

Mais nous ne sommes là, encore que dans les apparences. Le sursaut à l'apparition des ombres, l'odeur pestilentielle et les animaux décédés et vous êtes déjà apeurés ? Mais vous n'avez encore rien vu. Tapis dans l'angle d'un bâtiment, qui sait sur qui vous pourriez tomber ? Un vieillard endormi, au mieux, un assassin assoiffé de sang, au pire. Il y a bien ici des portes, qui donnent nécessairement sur des habitations. Qui donc pourrait y vivre, dans l'étroitesse des murs instables ? Quelle activité nocturne pourrait avoir cours, quels échanges fallacieux, quel crime ou quel méfait ? Croyez-moi, vous ne voulez pas le savoir. //

Lieu de Elerinna Calaelen

[Elerinna Calaelen]

[RP unique d'Aliya Tintallë et d'Olörin Tintallë]

// Un gamin se faufile sans bruit dans la ruelle. La nuit est tombée, mais même en plein jour ce coin de la ville semble plongé dans une obscurité sans nom. Heureusement, il en faut bien plus pour effrayer Olörin, qui a pris la mauvaise manie de traîner par ici pour rentrer chez lui les soirs d'hiver. Enfin, "chez lui", c'est vite dit. Le blondinet n'a pas vraiment la notion de ce qu'est un "chez-soi", il dort ici et ailleurs, sur de la paille, des lattes de bois, sous un pont, dans un hangar. Chez soi c'est avec les siens, chez soi c'est avec de l'amour qui le berce, et pas un toit sur la tête. De ce point de vue là, il a bel et bien un chez soi.

Il revient avec une bricole en main. Un petit objet long et doux au toucher. Un jouet semble-t-il. Une poupée brune haute de 15 centimètres et habillée d'une robe de soie rouge. Il la tient précieusement, comme un trésor, contre son cœur. Il trottine entre les flaques d'eau en faisant bien attention à ne pas la faire tomber, à ne surtout pas desserrer la prise sur son bien. Les récentes intempéries ont rendu certains quartiers de la ville inaccessibles, presque inondés. Le caniveau de cette rue précisément a doublé de volume. Mais avec ses frêles petites jambes, il peut sautiller en l'évitant sans soucis.

Il a le goût du jeu, Olörin. Le goût de la vie. Malgré les odeurs pestilentielles du lieu, malgré la sombre lumière tremblotante, malgré la pauvreté suintante et les rongeurs qui grouillent, malgré et au-delà de tout, Olörin joue. Ce n'est qu'un enfant, et il joue comme tel. Il a fait de la vie un jeu. Sous les giboulées il s'amuse à éviter les gouttes, poursuivit et insulté de voleur il s'amuse à jouer à chat, et à ce jeu là il gagne tout le temps ! Avec sa petite sœur il joue aux mimes. Pour ce jeu-là, il n'a pas trop le choix... //

- Olörin ! Ca fait des heures que je te cherche, tu sais depuis combien de temps la nuit est tombée ? Je m'inquiétais moi. Où est-ce-que tu étais encore fourré ?

// Visiblement folle d'inquiétude, Aliya était apparue à l'angle de la ruelle et lui avait sauté dessus. Le prenant dans ses bras tout en lui hurlant dessus, elle le serra si fort qu'il ne savait plus si c'était un signe d'affection ou une punition. Un peu penaud, le petit haussa les épaules. //

- Je sais bien que tu ne te doutais pas de l'heure, mais c'est pas une raison.

// Olörin vouait une admiration sans limite à sa grande sœur. Il la savait forte, bien plus que ne l'était leur mère, et prête à tout pour eux. Pour dire vrai, il se doutait qu'elle avait déjà été contrainte de faire des choses, des choses illégales qu'elle lui interdisait de faire lui-aussi, pour que presque tous les jours ils aient de quoi se remplir l'estomac. Il savait qu'elle dansait bien entendu, mais ce ne pouvait être tout ..

D'ailleurs, il adorait la voir danser, espérant secrètement qu'elle allait leur offrir un aperçu de ses quelques pas ce soir. Ils rigolaient toujours beaucoup quand Aliya se mettait à faire son spectacle, car elle leur réservait bien plus que ce qu'elle offrait aux gens de la ville. Avec eux elle chantait, tournait, virevoltait, tandis que lui jouait des percussions et s'imaginait musicien célèbre. Il n'avait pas du tout le sens du rythme en réalité, ce qui déclenchait un fou rire chez la brunette qui interrompait constamment ses pas pour s'adapter au son.

Voyant cependant son regard sévère posé sur lui, il fit une moue boudeuse. Peu probable que l'atmosphère soit si joyeuse ce soir. Il lui tendit la poupée, tout en soufflant vers elle. Puis, de ses petits doigts, il indiqua le chiffre 16. //

- Mais mon anniversaire c'est en juin Olörin, lui répondit Aliya, comprenant aussitôt ce dont il s'agissait. Tu sais, la période où il fait chaud, où les flaques d'eau ne sont pas aussi énormes et où les petits garçons peuvent sortir jusque tard sans que leur grande sœur ne s'inquiète de trop.

// Le gamin sourit. En faisant descendre son index le long de son cou, il indiqua à Aliya le mois de juin, avant de baisser la tête en signe de dépit et de négation. Oui, il ne lui avait pas donné de cadeau en juin, et il se rattrapait maintenant.

En y regardant de plus près, la brunette vit que la poupée lui ressemblait. Des cheveux ondulés, de grands yeux noirs, une robe de danseuse. Émue aux larmes par cette attention, elle n'en montra cependant rien. Son frère et sa sœur avaient ce don pour la faire craquer, pour faire tomber le masque de son impulsivité froide et sauvage. Déposant un baiser sur la joue du gamin, elle le prit par la main. Pleine d'une reconnaissance dont il ne se douterait jamais, elle ressentait à son égard bien plus qu'un amour fraternel. Ils étaient, lui et Maniëla, la raison pour laquelle elle vivait ici, la raison pour laquelle elle vivait encore.

L'attirant vers la sortie de la ruelle, elle jeta un regard derrière elle, vers la noirceur de la nuit, se promettant de ne jamais laisser cette ville engloutir cet enfant, de ne jamais la laisser leur faire de mal. Puis ils partirent, s'éclipsant hors de vue des âmes mal-intentionnées de la rue sombre, vers leur chez-eux. //

[Winona]

[RP entre Kaena Wil'Hakan (Winona) & Even Mecyan (Selena Edelwes)]

// Kaena Wil'Hakan et son maître était reparti de la taverne de Bayang après de belles retrouvailles. Ils avaient bien rigolé mais aussi travaillé en grimpant tels des chats sur les toits d'Al-Far. Cela faisait quelques jours qu'ils étaient retournés à la capital Al-Jeit - tout en profitant pour faire quelques exercices sur le chemin du retour.

Kaena en avait profité pour passer chez ses parents. Elle était toujours contente de les retrouver, maintenant qu'elle ne les voyait plus beaucoup avec son existence nomade. Par chance ses parents n'étaient pas non plus en voyage, alors elle avait profité de leur présence mais elle s'était aussi posée sur le balcon pour lire quelques petits bouquins.

Malheureusement, ce calme et cette sérénité ne dura vraiment pas longtemps. Quelque chose se tramait chez les Marchombres. Even Mecyan et Kaena s'était rejoint au conseil des Marchombres. C'était la première fois que la rouquine y assistait, la première fois son maître l'en avait tenue écartée. Kaena écoutait attentivement Miwen Nadilar parler devant l'assemblée. Elle y avait reconnue Yaaleen qu'elle avait croisée à l'Auberge Monde.

En sortant de l'assemblée et en se dirigeant vers une ruelle avec Even, Kaena ne souffla mot. Elle gardait en tête les dernières paroles de la doyenne : //

- Even, vous n'êtes pas sans savoir que Uralys Trimari est la nièce de notre bien-aimé collègue et ami, assassiné il y a peu. J'aimerais que vous la protégiez. Autant être franche quant à la raison de ma demande : j'ai entendu quelques .. bruits, sur votre façon d'être. Votre silence est quelque peu mal interprété par certains. Je ne voudrais pas qu'ils aillent jusqu'à vous soupçonner de traîtrise, si vous assurez cette mission comme il se doit, nul doute que les mauvaises langues se tairont.

// Comment pouvait-on accuser son maître ? Certes, il avait certains tic étranges, mais il était toujours attentif et bienveillant. Elle ne comprenait pas. Elle fixa le brandon qui diffusait une légère lueur dans la ruelle. Elle n'osait pas croiser le regard de son maître, mais elle attendait qu'il prenne la parole. //

[Selena Edelwes]

"Vous n'êtes pas sans savoir que Uralys Trimari est la nièce de notre bien-aimé collègue et ami, assassiné il y a peu. J'aimerais que vous la protégiez. Autant être franche quant à la raison de ma demande : j'ai entendu quelques .. bruits, sur votre façon d'être. Votre silence est quelque peu mal interprété par certains. Je ne voudrais pas qu'ils aillent jusqu'à vous soupçonner de traîtrise, si vous assurez cette mission comme il se doit, nul doute que les mauvaises langues se tairont."

// Les mots de Miwen Nadilar résonnaient encore aux oreilles bourdonnantes d'Even lorsqu'il quitta parmi les premiers la salle du Conseil. Comment pouvait-elle dire cela ? Oh, il savait très bien pourquoi. Il connaissait les pensées de la Guilde. Son maître avait été l'apprenti du "célèbre" Famor. Crétin. Mais il n'imaginait pas qu'on irait jusqu'à l'accuser. Lui. Il était pourtant (presque) normal ! Lui... En outre, Even n'arrivait pas à déterminer si la doyenne était de son côté ou non. Peut-être en effet faisait-elle cela pour lui prouver sa confiance ? Le maître marchombre avait tout de même du mal à y croire.

Lorsque la lumière du jour assaillit ses pupilles, le maître marchombre s'aperçut qu'il était sorti. Tout à ses réflexions, il n'avait pas pris garde au chemin qu'il empruntait... Pas plus qu'à la présence de son apprentie. Kaena l'avait visiblement suivi et attendait qu'il prenne la parole. Even ouvrit la bouche pour parler, mais son estomac fut plus rapide et lâcha un borborygme sonore. Le maître marchombre soupira et constata d'une voix fatiguée :

- Même mes sucs gastriques ont été remués par cette soirée...

// L'air de rien, il venait d'avouer qu'il avait été remué par la soirée. Il ne l'aurait peut-être pas exprimé comme ça, mais c'était assez vrai. Even jeta un coup d'œil aux alentours. Constatant que la ruelle était à peu près vide, il montra l'un des toits à son apprentie. //

- Kaena... Tu dois avoir des questions. J'ai certaines réponses. Nous allons discuter. Mais pour ça, ajouta-t-il, nous serons certainement mieux installés là-haut.

// En effet, l'odeur de la ruelle n'était pas des plus agréables. Accessoirement, le maître marchombre ne tenait pas à rester pile devant l'une des entrées des souterrains. Elle serait sûrement empruntée par d'autres qu'eux, ce soir. Il avait voulu tenir son apprentie en dehors de tout ça. Il n'avait pas pu. Ce qui se passait - quoi qu'il se passât - était trop important, elle y serait forcément mêlée. Et encore plus après ce soir...

En quelques bonds, le marchombre se hissa sur le toit indiqué et alla s'installer confortablement. Assis en tailleur, le dos appuyé contre la cheminée, Even laissa ses doigts se détendre en quelques lents mouvements discrets. La sérénité l'enveloppa de son doux manteau et il interrogea Kaena du regard. Il préférait entendre ses questions avant de commencer à parler. Car oui, il devrait parler. Il n'était pas sûr de savoir ce qu'il allait dire, et ceci le rassurait. Il est nettement plus difficile de traduire en mots une pensée précise que de... que ce qu'il allait faire ce soir. Even Mecyan sourit à la nuit. //

[Winona]

// Kaena observait d'un regard en biais son maître et attendait discrètement qu'il prenne la parole. //

- Même mes sucs gastriques ont été remués par cette soirée...

// Un minuscule sourire se dessina sur ses lèvres, mais ne dura que quelques micro-secondes. Ce qu'Even venait de dire allait au-delà des simples mots qu'il venait d'exprimer. Ou du moins, l'image qu'il venait de lui mettre en tête était assez explicite sur son état d'esprit. Elle n'osait cependant pas encore prendre la parole, elle attendait une consigne ou une phrase de son mentor, ce qui ne tarda pas à arriver. //

- Kaena... Tu dois avoir des questions. J'ai certaines réponses. Nous allons discuter. Mais pour ça, nous serons certainement mieux installés là-haut.

// Elle hocha simplement de la tête et déjà, il était rendu plus haut sur les toits. Kaena s’accrocha à du lierre grimpant et maugréa en silence la pluie précédente qui avait bassinée les feuilles de la plante. Elle atterrit tel un chat sur le rebord du toit, monta et dépassa la faîtière et s'assit entre Even et une petite plante vivace qui survivait là par on ne sait quel miracle. La rouquine resta les yeux rivé sur la plante tout en réfléchissant à ce qu'elle pouvait poser comme question. D'un côté, elle ne savait pas trop par quoi commencer, mais d'un autre, elle n'était pas vraiment au courant de ce qui se passait dans la Guilde et se demandait quelle question elle pouvait bien poser. Elle prit le temps de réfléchir et finit par se tourner lentement vers Even pour prendre la parole. //

- Que se passe-t-il exactement dans la Guilde ? Je veux dire par la que je ne connais pas la moitié les noms des gens qui ont été cités. Mais surtout, de quoi t'accusent-ils ?

// La jeune apprenti observa le ciel qui se parsemait d'étoiles pendant que son maître réfléchissait. //

[Selena Edelwes]

// Even modifia légèrement sa position afin que son dos épouse complètement la forme de la cheminée contre laquelle il était appuyé. Elle était drôlement confortable. Even se prit à envisager en installer une chez lui. Peut-être était-ce pour cette raison que la plupart des gens préféraient discuter ou passer du temps chez eux plutôt que sur le faîte d'un toit dans l'un des quartiers les plus mal famés d'Al-Jeit. Parce qu'ils avaient des cheminées. L'évidence de son raisonnement disparut pour Even alors même que son absurdité lui sautait au yeux. La plupart des gens ne trouveraient pas cette cheminée confortable, la plupart des gens n'étaient pas marchombres et la plupart des gens (et des marchombres) était sans doute incapable d'avoir des pensées aussi incongrues dans un moment aussi critique. Les lèvres d'Even s'étirèrent à nouveau en un sourire : il ne changerait pas, et c'était très bien - ou pas - comme ça.

Kaena s'était installée avec grâce aux côtés de son maître, qui comme toujours observait attentivement ses mouvements. Les ombelles de la plante solitaire qui poussait là n'avaient même pas vacillé quand Kaena s'était assise à côté d'elles. Pas le moindre déplacement d'air superflus, donc. Even en tirait une certaine fierté. Kaena était douée. Et il était son maître. Classe, non ? Mais pour l'heure, le maître marchombre ferait mieux de se concentrer sur ce qu'il allait bien pouvoir raconter à son apprentie. Le regard fixé sur la plante, elle semblait réfléchir, et Even savait qu'elle ne tarderait pas à le questionner. Malheureusement pour lui, il connaissait assez bien son apprentie pour savoir que la réponse ne serait pas simple à fournir. Après quelques instants - Kaena réfléchissait bien trop rapidement pour la santé de son maître - elle prit la parole après s'être tournée vers lui : //

- Que se passe-t-il exactement dans la Guilde ? Je veux dire par là que je ne connais pas la moitié les noms des gens qui ont été cités. Mais surtout, de quoi t'accusent-ils ?

// Kaena, pressentant sans doute que la réponse ne serait pas immédiate, se plongea dans l'observation du ciel nocturne. En effet, les réponses n'ont jamais poussé sur des arbres. Il ne suffit pas de posséder un quelconque jaffet pour les cueillir. Cependant, Even était étonné : les questions de Kaena n'étaient pas si terribles, finalement. Il s'était certes retenu de glousser - de glousser ! lui ! - en entendant la dernière, mais elles étaient compréhensibles, légitimes et limpides. À l'image de son apprentie, en somme.

Even Mecyan était loin d'être en mesure d'expliquer précisément la situation au sein de la Guilde. Il savait que quelque chose de louche se tramait et c'était pour cette raison qu'il s'était tenu éloigné de toutes ces possibles manigances. Il n'avait jamais été très proche de la Guilde en tant qu'institution, mais plus encore ces derniers temps, par désir de ne pas impliquer son apprentie et de se consacrer entièrement à elle. Surtout. Son maître lui avait dit un jour qu'un bon maître était un phare sur la Voie. Qu'il soit devant ou derrière, il devait être capable de projeter sa lumière assez loin pour guider l'élève. Un phare. Rien que ça. Et pour bien éclairer, n'importe quelle source de lumière avait besoin d'être ravitaillée en énergie. À cet instant, Even songea qu'il n'avait rien d'une source de lumière (d'une lumière tout court, à dire vrai), réduisant à néant la pertinence de sa métaphore. Lunilo avait beau être un excellent maître marchombre, il était un peu perché. Et pas seulement au sens propre.

Even décida donc de commencer par le commencement : //

- Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe dans la Guilde. Even marqua une pause. D'après ce que j'ai compris, on ne m'accuse de rien. Quant à ce qu'on me reproche, tu comprendras quand je te parlerai de Crétin. Mais d'abord, réponds à cette question : que sais-tu des Mercenaires du Chaos ?

// Le son de sa propre voix sonnait étrangement sérieux aux oreilles du marchombre. La lenteur avec laquelle il avait prononcé ces derniers mots y était sans doute pour quelque chose. C'est peut-être à ce moment-là qu'Even Mecyan admit réellement que la situation était préoccupante. //

[Winona]

// Kaena continuait de regarder le ciel qui s'assombrissait à vue d'œil et se parsemait d'étoiles de plus en plus brillantes en l'absence de la Lune. Les lueurs de la ruelle en contrebas ne parvenait pas jusqu'à eux et bien qu'elle ne distinguait plus que les contours de son maître, elle sentait sa présence non loin. Une très légère bise jouait avec les pointes de ses cheveux et les températures étaient agréables. Elle avait rarement eu d'aussi bonnes conditions pour une discussion aussi importante avec Even. Si la situation n'était pas aussi critique, la jeune fille aurait presque pu s'exclamer "c'est Byzance !". La rouquine s'arracha à la contemplation de la Voie Lactée pour regarder en direction de son maître qui venait de prendre la parole. //

- Je ne sais pas exactement ce qu'il se passe dans la Guilde. D'après ce que j'ai compris, on ne m'accuse de rien. Quant à ce qu'on me reproche, tu comprendras quand je te parlerai de Crétin. Mais d'abord, réponds à cette question : que sais-tu des Mercenaires du Chaos ?

// Bien que sa question précédente était simple, elle aurait dû se douter qu'Even n'allait pas lui fournir une réponse sur un plateau d'argent, ou alors, quand les poules auront des dents. Mais elle n'eut pas pour autant de petit soupir d'exaspération. Cela faisait parti de sa formation d'apprendre à lire entre les lignes et de comprendre ce qui n'était pas formulé. Et puis, son maître avait eu la bonté de commencer les explications depuis le début et la jeune fille lui en était très reconnaissante. Elle redirigea son regard vers les étoiles le temps d'assimiler les quelques phrases qu'il venait de dire. On ne lui reprochait donc rien. Pourtant elle avait bien entendue Miwen dire que certain l'accusait de traîtrise... Elle préféra ne pas insister, elle aurait les réponses au fur et à mesure, il lui suffisait d'être patiente et d'attendre que la conversation suive son cours. //

- Je n'en sais pas grand chose.

// Kaena fit une petite pause avant de reprendre. Elle savait qu'Even voulait qu'elle développe un peu plus ce qu'elle savait sur le sujet. //

- Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'anciens Marchombres qui se sont détournés de la Voie. À l'Auberge Monde, l'autre jour, Yaaleen croyait que c'en étaient qui arrivaient au loin, mais ce n'était que de simples bandits.

// La jeune fille n'était pas une habituée des longs discours, alors elle se tut et attendit patiemment l'explication qui n'allait pas tarder à arriver. //

[Selena Edelwes]

// Even observa son apprentie rassembler ses idées. Il admirait toujours sa faculté à ne pas parler pour ne rien dire, faculté qui faisait parfois cruellement défaut au maître marchombre. Il lisait sur son visage l'insatisfaction quant à sa réponse, accompagnée d'une patiente résignation. Kaena ne semblait pas douter des capacités de son maître à éclaircir ses questions... Even choisit de prendre exemple sur elle et se laissa gagner par une grave sérénité de circonstance. //

- Je n'en sais pas grand chose.

// Even fut tenté de répondre que lui non plus mais il se ravisa : cette partie-là de l'explication viendrait plus tard. //

- Tout ce que je sais, c'est qu'il s'agit d'anciens Marchombres qui se sont détournés de la Voie. À l'Auberge Monde, l'autre jour, Yaaleen croyait que c'en étaient qui arrivaient au loin, mais ce n'était que de simples bandits.


// Even fronça les sourcils. Faute de temps, il ne s'était pas renseigné sur cette fameuse Yaaleen-aux-voyelles. Il s'en voulait un peu à présent. Une marchombre qui pense spontanément à des mercenaires du chaos en voyant des brigands arriver ? Louche. Mais peut-être était-elle déjà au fait des troubles au sein et en dehors de la guilde. En ce cas il ne pouvait que lui être reconnaissant de s'être trouvée avec son apprentie. Le marchombre se promit à nouveau de se renseigner puis reporta toute son attention sur son apprentie. //

- D'anciens marchombres ? Rien que ce qualificatif est discutable, commenta-t-il avec un sourire. Extérieurement, ils nous ressemblent : la même discrétion pour ne pas dire clandestinité, les mêmes techniques de combat... Mais alors que le marchombre tend vers l'Harmonie, le mercenaire recherche le Chaos. Leur philosophie est profondément différente de la notre. Ils veulent anéantir l'Harmonie ; ils veulent le triomphe du Chaos. Par tous les moyens. En cela ils sont bien plus proches du bourreau sanguinaire que du marchombre. Nous avons eu tort de penser qu'ils avaient été détruits. Leur guilde ne repose pas sur des hommes mais sur des idées. Les idées ne meurent pas. Il y aura toujours des personnes pour servir le Chaos. De façon plus ou moins consciente, assumée ou organisée. C'est pourquoi en tant que marchombres nous devons toujours veiller au triomphe de l'Harmonie.

// Even s'arrêta un instant pour jauger la réaction de son apprentie. Pressentant qu'il allait bientôt céder aux chants des sirènes et agrémenter son explication de quelque comparaison fantaisiste, il préféra prévenir : //

- Kaena, je n'ai pas l'habitude d'être aussi sérieux dans mes paroles. Et ce que je dis manque cruellement de métaphores végétales. Mais je veux être sûr que je suis clair avant de poursuivre. Aussi, as-tu des questions sur ce que je viens de dire ?

[Winona]

// Pour une fois, Kaena Wil'Hakan ne regarda pas le ciel en attendant la réponse de son maître, Even Mecyan. Elle prit sur elle pour continuer à le regarder dans les yeux et ne pas fuir du regard. Il y a deux ans de cela, Kaena était un muche inconditionnel. Elle n'aurait jamais osée soutenir le regard de quelqu'un qui lui parlait. Son entraînement et les presque deux ans passés aux côtés d'Even, elle avait progressé dans de nombreux domaines. Bientôt ses mots virent briser le silence de la nuit que même les bruits des tavernes alentours ne perçaient pas. //

- D'anciens marchombres ? Rien que ce qualificatif est discutable. Extérieurement, ils nous ressemblent : la même discrétion pour ne pas dire clandestinité, les mêmes techniques de combat... Mais alors que le marchombre tend vers l'Harmonie, le mercenaire recherche le Chaos. Leur philosophie est profondément différente de la notre. Ils veulent anéantir l'Harmonie ; ils veulent le triomphe du Chaos. Par tous les moyens. En cela ils sont bien plus proches du bourreau sanguinaire que du marchombre. Nous avons eu tort de penser qu'ils avaient été détruits. Leur guilde ne repose pas sur des hommes mais sur des idées. Les idées ne meurent pas. Il y aura toujours des personnes pour servir le Chaos. De façon plus ou moins consciente, assumée ou organisée. C'est pourquoi en tant que marchombres nous devons toujours veiller au triomphe de l'Harmonie.

// La rouquine buvait ses paroles et s'en imprégna pour ne jamais oublier que le maître mot qui devait la guider même après son apprentissage serait l'Harmonie. L'Harmonie même au cœur du chaos, l'Harmonie même quand tout était noir dehors et même l'Harmonie quand tout semblait aller pour le mieux. Toujours tendre vers l'Harmonie parfaite avec l'environnement. S'il n'avait pas fait aussi noir et que la situation n'était pas si importante, Kaena aurait sorti son carnet pour noter un petit poème Marchombre :

Dans le noir ou la lumière
Toujours suivre son chemin,
Harmonie.

La jeune fille releva brusquement la tête quand Even l'interpella. //

- Kaena, je n'ai pas l'habitude d'être aussi sérieux dans mes paroles. Et ce que je dis manque cruellement de métaphores végétales. Mais je veux être sûr que je suis clair avant de poursuivre. Aussi, as-tu des questions sur ce que je viens de dire ?

// Le ou les membres infiltrés à la Guilde devaient avoir des esprits méphistophéliques pour faire courir de telles rumeurs sur Even et lui en faire perdre son latin végétal ! Les commissures des lèvres s'inclinèrent légèrement en un mini sourire vite ravalé. //

- Oui, j'ai parfaitement compris ce que tu viens de m'expliquer.

// Elle hésita à continuer de parler même si elle savait qu'il n'avait pas fini de lui dire ce qu'il avait à dire. Elle ne voulait pas changer le cours de la discussion, mais une question lui brûlait les lèvres. Elle finit par oser la poser. //

- Ils pensent donc que toi, tu pourrais avoir un penchant pour le Chaos ?

[Selena Edelwes]

// Kaena sembla particulièrement amusée par les dernières paroles d’Even. Comprendre par là que la commissure de ses lèvres avait légèrement tremblé. Elle devait être intérieurement franchement hilare. Even aurait pu être vexé – si tant est qu’il connaisse la signification de ce terme, et rien n’est moins sûr. //

- Oui, j'ai parfaitement compris ce que tu viens de m'expliquer.

// Even était rassuré. Il faillit reprendre le fil de ses explications – où en était-il déjà ? - mais une mimique sur le visage de son apprentie l’en dissuada. Elle semblait avoir quelque chose à ajouter. La connaissant, elle ne le ferait pas s’il reprenait la parole ; son rôle de maître était donc de se taire – ce qui pour une fois lui allait parfaitement.
Kaena finit en effet par demander : //

- Ils pensent donc que toi, tu pourrais avoir un penchant pour le Chaos ?

// Nous y étions. La question fatidique. Évoquer Crétin, le marchombre. Évoquer les crétins parmi les marchombres, aussi. Mais Even pouvait-il vraiment répondre à cette question ? Au fond, qu’en savait-il ? Le Conseil pouvait très bien le soupçonner d’avoir un penchant pour le Chaos. Ce n’est pas parce qu’il serait dans l’erreur qu’une telle chose était impossible. Even devait vraiment prendre cela en compte, même s’il n’y croyait pas trop. Il pouvait surtout espérer qu'une telle idée n'essaime pas : vu le contexte, il n'avait pas besoin que des inconnus se forgent une fausse idée de lui à cause de quelques mots du Conseil. //

- Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par répondre à ta question, remarqua le marchombre. À vrai dire je n’en sais rien. Ils le pensent peut-être. Je n’en suis pas persuadé.

// Mais Even avait-il le droit briser l’innocence de son apprentie ?
Il se souvenait de son désarroi quand il avait découvert que tous les marchombres n’étaient pas aussi… droits et désintéressés que son propre maître. Il avait été profondément blessé. Auparavant il voyait la Guilde comme une entité n’ayant d’autre but que celui d’être un lien entre les différents arpenteurs de la Voie. Auparavant il se sentait appartenir à une communauté. Des personnes qu’il n’avait jamais rencontrées pour la plupart, mais avec qui il partageait tant… Et puis un jour, il avait compris que la réalité n’était pas aussi harmonieuse. Il n’était déjà plus apprenti depuis deux hivers. Il est vrai qu’il n’avait eu que peu de contacts avec d’autres marchombres et ceux qu’il avait rencontrés lui avaient généralement été présentés par son maître. Mais il n’était pas préparé. Il avait alors couru trouver Lunilo pour avoir des réponses, parce qu’au fond il n’admettait pas vraiment qu’un tel comportement put exister. Cependant les réponses qu’il obtint n’étaient pas celles qu’il espérait. Elles auraient pu l'aigrir, sans la présence de Lunilo. Mais il avait également compris – ou plutôt Lunilo lui avait fait comprendre – quelque chose de fondamental. La Voie s’arpente seul. En harmonie avec soi-même. Qu’on soit ensemble ou seul. Il n’y a pas de place pour le jugement. Seul compte notre propre regard. Il lui avait fallu du temps pour guérir de cette déception. Mais il avait grandi cette nuit-là.
Ce n’était pas un droit, c’était un devoir qu’il avait envers son apprentie. Il chercha le regard de Kaena avant de poursuivre : //

- Je risque de briser quelques unes de tes illusions, ce soir. J’en suis désolé.

Certains marchombres sont parfois humains avant d’être marchombres. Ils n’acceptent pas la différence. Ou difficilement. Ce qui revient au même. Certains en ont honte, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement mais sentent confusément qu’ils ne devraient pas. En général, ils aiment encore moins la différence qui fait resurgir ces problématiques en eux. D’autres en sont fiers, c’est tout.

Mon maître était un marchombre respecté, il correspondait à tous les stéréotypes sur les marchombres. Ces stéréotypes existent parce que la Guilde les a produits. Il avait le profil du parfait marchombre et était donc accepté et respecté. Mais ça n’a pas été évident, au début.

Le maître de mon maître, lui, était… Pire que moi. Il passait pour un idiot auprès des autres. Il n’était pas plus stupide qu’un autre, au contraire, c’était un excellent maître marchombre. Il avait seulement une forte tendance à la rêverie et se fichait éperdument de ce que pouvaient penser les autres.

Et moi… Eh bien, je pense que tu me connais assez pour savoir que je suis l’aubépine au milieu d’un champ de camomille ! Aaaaah. J’ai pas tenu. C’était trop tentant.

// Even ricana légèrement avant d’observer attentivement son apprentie. Il était tout de même un peu inquiet de ses réactions. Kaena était si simple. Pas au sens ou lui pouvait l’être parfois, non. Elle était juste elle-même, sans fioritures ni masques, et elle voyait le monde comme un environnement merveilleux ou tout était à son image. Plus ou moins. Even exagérait peut-être un peu car c’est l’impression que donnait son apprentie et c’est ainsi qu’il aimait la percevoir même s’il savait qu’elle ne pouvait être réduite à une telle description. //